Helbig, J.*, Laborius, G.-A.** et Schulz, F.A.*
* TU Berlin et ** GTZ, Hamburg, Allemagne
RESUME
Le comportement du prédateur Teretriosoma nigrescens Lewis (Col.:Histeridae) à l'égard des denrées stockées d'origine végétale a été étudié lors de deux expériences. Les expériences ont été réalisées dans une cage, garnie d'un grillage en acier spécial, sur le terrain du Service de la Protection des Végétaux au Togo. Il y avait dans cette cage des greniers de maïs contenant une population naturelle d'insectes nuisibles, y compris le Prostephanus truncatus (Horn) (Col.: Bostrichidae), tout comme des individus du prédateur que l'on avait introduits. L'attraction exercée par les différentes denrées stockées a été contrôlée grâce à des recipients ouverts déposés dans la cage, et dans lesquels se trouvaient les denrées. On n'a constaté aucune attraction nette exercée par les substrats sur le T. nigrescens. En outre, on a testé la durée du séjour du T. nigrescens sur les produits alimentaires en y introduisant artificiellement 30 individus (3 répétitions à 10) à chaque fois. Elle s'est révélée comparativement courte déjà, après deux jours, la majeure partie de ces coléoptères avait quitté les récipients, seuls des individus isolés demeurèrent sensiblement plus longtemps sur les substrats. Les résultats révèlent que le prédateur n'a aucune affinité particulière pour les denrées stockées d'origine végétale offertes.
INTRODUCTION
Il a été déjà établi lors de plusieurs expériences que le Teretriosoma nigrescens Lewis (Col.: Histeridae) est un antagoniste. efficace du Prostephanus truncatus (Horn) (Col.: Bostrichidae) (Boeye 1988, Rees 1985, 1987). Le prédateur semble être très lié à sa proie, ce qui s'explique par l'attirance exercée sur lui par la phéromone d'agrégation de l'insecte nuisible (Boeye et al. 1992). On peut admettre par là que le T. nigrescens est un candidat apte à une lutte biologique menée contre le Grand Capucin du Maïs (Schulz et al. 1987). Avant une libération éventuelle de l'insecte utile au Togo, ii s'était avéré nécessaire de procéder à un grand nombre d'expériences destinées à fournir des informations sur un éventuel effet nuisible du prédateur. Dans ce contexte, on a examiné, oûtre la question relative à d'éventuelles répercussions négatives du T. nigrescens sur différents produits alimentaires lors d'essais de laboratoire (Poeschko et al. 1992), son comportement vis-à-vis des produits alimentaires stockés dans une cage d'essai, dans des conditions proches de celles qu'on rencontre en plein champ.
MATERIEL ET METHODES
L'expérience a été faite sur le terrain du Service de la Protection des Végétaux à Lomé, Togo. Puisque le T. nigrescens a été retenu dans une cage d'essai (9 x 5 x 2,5 m) en fils de gaze acier, les expériences ne pouvaient se dérouler qu'ici. Il y avait dans cette cage des greniers de maïs caractérisés par une invasion naturelle des insectes nuisibles. De plus, on avait introduit le T. nigrescens.
1. Etude relative à l'attraction exercée sur le Teretriosoma nigrescens par diverses denrées stockées
Les diverses denrées stockées sont déposées dans des assiettes en plastique ayant une hauteur de 3,2 cm et un diamètre de 18 cm. Dans chaque assiette en plastique on a déposé entre 30 et 70 g des denrées stockées respectives. On a pratiqué au fond de l'assiette un trou de 1,5 à 2 mm de diamètre pour faciliter l'accès des produits alimentaires aux coléoptères. Comme toit, on a utilisé une plaque de tôle qui couvrait en même temps plusieurs assiettes; elle mesurait 50 x 60 cm et était placée à une hauteur de 20 cm. La plupart des denrées furent achetées sur un marché local. Le maïs appartenait à une espèce locale à grain jaune; le café était constitué par un échantillon de l'espèce «Robust». On a utilisé pour ces expériences des graines entières tout comme des graines moulues; ces dernières ont été moulues avec un moulin électrique. Les grains troués ont été préparés avec une perceuse à main. L'interprétation des résultats pour chaque assiette a lieu toutes les 24 heures par un contrôle visuel. Les coléoptères trouvés sont enregistrés selon l'espèce et selon le nombre, et ils sont relâchés tout de suite après sur le sol de la cage. On a effectué deux séries d'essais:
La première série a été faite avec des assiettes intactes et avec des assiettes percées d'un trou. On a fixé trois répétitions par produit et par type d'assiette. Les essais ont duré 4 jours, ce qui fait au total 24 observations par produit.
Dans la deuxième série d'essais, on n'a utilisé que des assiettes percées d'un trou. les graines de cacao séchées utilisées lors des essais furent fermentées et séchées selon la méthode employée par les paysans.
Les résultats sont donnés sous formes de nombre absolu de coléoptères, avec indication de la fréquence relative des différentes espèces.
2. Etude relative à la durée de séjour des Teretriosoma nigrescens adultes déposés sur diverses denrées stockées
Les denrées stockées et l'installation du toit étaient identiques à ceux figurant sous 1.
Pour la première série d'essais, on a utilisé des assiettes en plastique intactes et des verres ayant une hauteur de 10 cm et un diamètre de 2,5 cm. On a utilisé des verres plus grands pour l'application des cossettes de manioc: 12 cm de haut et 6,5 cm de diamètre. On a déposé par récipient 10 coléoptères adultes sur les denrées stockées. L'évaluation avait lieu toutes les 24 heures. Les substrats étaient tamisés à l'aide de tamis de 0,4 et 2,0 mm et les tractions ont été soumises à un contrôle visuel tout de suite après. Les T. nigrescens trouvés ont été dénombrés et tous les autres coléoptères ont été écartés des denrées. Les produits et les T. nigrescens restants ont été à nouveau déposés dans les récipients. Les T. nigrescens morts ou qui n'étaient pas parfaitement sains ont été échangés.
Dans la deuxième série d'essais. il y a quelques changements. On a utilisé du papier journal froissé comme moyen de comparaison neutre. On a employé les types de récipients suivants:
a) Une assiette en plastique (voir point 1) percée de 4 petits trous (12 mm de diamètre) dans la paroi latérale qui se trouvait au niveau du fond.
b) Un petit panier tressé avec des branches de palmier ayant une hauteur de 6 cm environ et un diamètre de 10 (en bas) à 15 cm (en haut). On a disposé un morceau de papier journal dans le panier en guise de fond. Le panier a été posé sur une coupe en plastique pour le protéger des eaux de pluie.
c) Une assiette ronde en carton, ayant 22 cm de diamètre, posée sur une assiette en plastique retournée.
RESULTATS
Les résultats sont donnés sous forme de fréquence relative des T. nigrescens retrouvés sur les substrats (bien qu'il n'ait pas été possible ici de les distinguer des individus éventuellement arrivés plus tard), moyenne établie en fonction des types de récipients utilisés et du nombre de répétitions.
1. Attraction exercée par les divers produits de stockage d'origine végétale sur le Teretriosoma nigrescens
On n'a trouvé au cours des deux séries d'essais qu'un tout petit nombre de T. nigrescens sur les différentes denrées stockées (Tab. 1). Sur de nombreux substrats, on n'a pas pu déceler un seul prédateur, et cela en dépit d'observations répétées.
Comparé à l'ensemble des autres espèces d'insectes que l'on a trouvées, le nombre de T. nigrescens trouvés sur les différents substrats était régulièrement infime. Sur la plupart des denrées stockées, la fréquence relative de T. nigrescens était inférieure à 1%. Les chiffres les plus élevés étaient de l'ordre de 3 à 4,7% de la totalité des individus découverts, bien qu'il faille préciser que cette fréquence est démeurée une exception.
Si l'on compare les fréquences relatives des différentes espèces de coléoptères trouvées sur la totalité des denrées offertes (Fig. 1), T. nigrescens était de loin l'espèce la moins représentée. 1% à peine de la totalité des individus immigrés appartenaient à cette espèce. L'espèce la plus couramment représentée était Sitophilus zeamais (environs 34 %), suivie de Oryzaephilus surinamensis et de Palorus subdepressus. Prostephanus truncatus atteignait environs 11 % de tous les coléoptères découverts.
Tab. 1: Nombre de Teretriosoma nigrescens, qui ont immigré en l'espace de 4 jours dans les récipients ouverts contenant diverses denrées stockées (c: denrée écrasée). (Résultats de 2 séries consécutives, indiqués sous forme de nombre absolu et de fréquence relative (F.r.) de l'ensemble des individus de toutes les espèces de coléoptères).
Denrée | 1. Série d'essais | 2. Série d'essais | ||
Somme totale* | F. r. en % | Somme totale* | F. r. en % | |
Cossettes de manioc | 1 | 0,22 | 1 | 0,60 |
Maïs | 0 | 0,00 | 1 | 1,49 |
Maïs é | 1 | 0,38 | 1 | 0,47 |
Riz | 1 | 1,15 | 0 | 0,00 |
Riz é | 1 | 0,93 | - | ------ |
Café | 0 | 0,00 | 1 | 3,85 |
Café é | 2 | 2,94 | 1 | 1,96 |
Sorgho rouge | 0 | 0,00 | 0 | 0,00 |
Sorgho rouge é | 1 | 1,32 | 2 | 1,20 |
Sorgho blanc | 1 | 1,41 | - | ------ |
Sorgho blanc é | 2 | 2,11 | - | ------ |
Haricot blanc | 0 | 0,00 | 1 | 0,00 |
Haricot blanc é | 0 | 0,00 | 0 | ------ |
Haricot rouge | 1 | 1,18 | - | ------ |
Haricot rouge é | 0 | 0,00 | - | 3,23 |
Arachide | 0 | 0,00 | 0 | 0,00 |
Arachide troué | 3 | 3,75 | - | ------ |
Arachide gousse | 0 | 0,00 | - | ------ |
Millet | 0 | 0,00 | 2 | 2,35 |
Millet c | 2 | 1,48 | 0 | 0,00 |
Cacao | - | ------ | 1 | 2,04 |
Cacao é | - | ------ | 2 | 4,65 |
* Somme totale = somme de 24 observations (2 types
d'assiettes, 3 répétition, 4 jours d'observation)
** Somme totale = somme de 12 observations (3 répétition, 4
jours d'observation)
T.n: Teretriosoma nigrescens | P.t.: Prostephanus truncatus |
S.z.: Sitophilus zeamais | Cry.: Cryptolestes spp. |
O.s.: Oryzaephilus surinamensis | P.s.: Palorus subdepressus |
Car.: Carpophilus spp. |
2. Durée do séjour do Teretriosoma nigrescens sur les différentes denrées stockées
Série d'essais n°1 (Fig. 2):
La plupart des T. nigrescens avaient déjà quitté au
bout de 24 heures les denrées stockées d'origine végétale sur
lesquelles on les avait placés. A l'exception des cossettes de
manioc, on a retrouvé sur les différents substrats entre 7 et
32 % des coléoptères déposés. Pour ce qui est des cossettes,
le pourcentage était plus élevé (62 % ). L'émigration s'est
poursuivie sans discontinuer au cours des journées qui ont
suivi, de sorte que 98 à 99 % en moyenne des T. nigrescens
avaient quitté les substrats au bout de 5 jours. Sur les
cossettes de manioc, l'émigration a été un peu plus lente,
bien que l'on ait atteint là aussi au bout de 6 jours le même
niveau que sur les autres substrats. Seuls quelques individus
isolés sont demeurés un certain temps encore sur les substrats.
On n'a retrouvé toutefois au bout de 10 jours que 0,8 %
seulement des coléoptères déposés (7 individus sur 840 à
l'origine).
Série d'essais n° 2 (Fig. 3a,b):
Pour la 2ème série d'essais, on s'est servi de papier journal
chiffonné en guise de témoin. En règle générale, les T.
nigrescens déposés sur les substrats ont quitté ceux-ci au
même rythme qu'ils ont abandonné les témoins. Dans certains
cas, les coléoptères ont même quitté les substrats à un
rythme relativement plus élevé. A l'issue d'une première, puis
d'une deuxième journée d'essais, on a trouvé dans certains cas
sur les substrats un nombre de coléoptères relativement plus
important que sur les témoins. Ce phénomène ne s'est cependant
pas poursuivi au cours des jours suivants, ce qui permet de
conclure que les denrées stockées n'exerçaient pas d'attrait
notable sur les coléoptères. Dans l'ensemble, la plupart des
coléoptères ont quitté les récipients au cours des derniers
jours. Au bout de 3 jours, 82 % en moyenne des T. nigrescens
avaient quitté les récipients, ce chiffre passant déjà à 93
% après 5 jours. Aucun des substrats n'a permis de constater
chez la plupart des T. nigrescens une tendance à y
séjourner d'une manière prolongée.
CONCLUSIONS
Ce travail avait pour but de déterminer si les denrées stockées d'origine végétale exerçaient un attrait quelconque sur le prédateur T. nigrescens, au sens de leur exploitation éventuelle en tant que source de nourriture, dans la mesure où ii se trouve placé devant le choix. Les différentes denrées stockées lui ont été proposées dans ce but dans des récipients ouverts, permettant un accès facile. Dans une seconde phase d'essais, on a placé les T. nigrescens directement sur les substrats, déposés dans des récipients ouverts, et observé leur comportement.
Dans les deux séries d'expériences relatives à l'attraction exercée par les différentes denrées stockées sur le T. nigrescens, on n'a constaté, à chaque fois, que la présence de quelques individus isolés, souvent même l'absence totale de T. nigrescens sur les substrats. Ce résultat indique que de toute évidence le prédateur n'est pas attiré par les denrées stockées. Les insectes nuisibles connus tels que le Prostephanus truncatus et le Sitophilus zeamaïs par exemple, qui séjournaient en grand nombre sur les denrées, ont un comportement diamétralement opposé.
En raison de l'apparition massive de P. truncatus sur certains substrats, on peut se demander si ce dernier n'a pas exercé d'attraction sur le prédateur.
Les essais ont été faits dans une cage où se trouvait un très grand nombre de T. nigrescens. Quelques-uns de ces coléoptères étaient toujours en mouvement dans la cage, ils se déplaçaient sur le sol ou autour de la gaze ou bien ils volaient ça et là. La découverte occasionnelle des T. nigrescens peut donc éventuellement être interprétée comme un signe de leur activité, étant donné qu'ils étaient en train de fouiller les lieux de séjour disponibles à l'intérieur de la cage à la recherche de leur nourriture, le P. truncatus.
Les approches d'interprétation demeurent très hypothétiques du fait d'influences et d'interactions extrêmement variées. On peut cependant retenir que l'apparition de T. nigrescens sur les différentes sortes de denrées stockées constitue un phénomène plus contingent que régulier et que l'on peut donc pratiquement exclure qu'il soit attiré par ces denrées.
Dans les essais relatifs à la durée du séjour du T. nigrescens sur les différentes denrées stockées, le prédateur n'a pas montré une tendance nette à demeurer sur les substrats offerts. Cette disposition plutôt insignifiante à y séjourner révèle que ces denrées ne constituent pas pour lui une nourriture adéquate.
En ce qui concerne le comportement do T. nigrescens, deux possibilités semblent concevables. La réaction qui consiste à quitter les denrées pourrait être provoquée par l'attirance exercée par les phéromones d'agrégation du P. truncatus. La rapidité avec laquelle ii quitte les récipients, qui fut observée souvent, corrobore ce fait. Maïs d'un autre côté , il se pourrait qu'il n'y ait pas eu de gradient de la phéromone à l'intérieur de la cage, ce qui signifie qu'il y avait à peu près partout la même concentration. Dans ce cas, l'émigration serait le résultat d'une vaine recherche de nourriture. Le stimulant clé pour cette recherche serait une fois encore la phéromone qui signale la présence du P. truncatus. Cette thèse serait corroborée par la durée du séjour, quelquefois un peu plus longue de quelques individus, surtout sur les substrats moulus.
Le type de récipient utilisé et la température ambiante semblent exercer une certaine influence sur la durée du séjour du T. nigrescens sur les denrées. On a observé que lorsque la température monte, l'insecte est plus enclin à voler. La durée de séjour un peu plus longue observée d'une façon générale dans la série des essais n° 2 pourrait trouver ici sa justification. L'influence exercée par le récipient a un rapport avec la température. Quand la température était basse, les insectes préféraient se déplacer en marchant la où le récipient ne leur permettait pas de le quitter; grâce à ce simple moyen de déplacement, comme lorsque l'assiette est en plastique, le séjour se prolongeait considérablement.
Les résultats des deux phases préliminaires d'essais n'ont pas permis d'établir de liens étroits entre T. nigrescens et les denrées stockées d'origine végétale. On n'a pas davantage constaté chez le prédateur de phénomène d'attraction envers les substrats, pas plus que de tendance prononcée à y séjourner longuement.
BIBLIOGRAPHIE
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Rees, D.P.(1985) Life history of Teretriosoma nigrescens Lewis (Coleoptera; Histeridae) and its ability to suppress populations of Prostephanus truncatus (Horn) (Coleoptera; Bostrichidae). J.Stored Prod. Res. 21, 115-118.
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