8. Conclusions: quelles conséquences peut-on tirer de ces observations ?
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La situation peut se résumer comme suit:
En présence d'une population à faible pouvoir d'achat, il n'existe pas, dans les zones structurellement ou temporairement déficitaires, de demande à des prix suffisants pour couvrir les frais, ce qui exclut la rentabilité des banques de céréales fonctionnant sur une base monétaire. Les banques de céréales fonctionnant au contraire sur la base de crédits en nature peuvent offrir une alternative dans les régions temporairement déficitaires.
Les groupes villageois d'auto-assistance sont en général dépassés par les problèmes logistiques liés à l'approvisionnement en céréales et à la recherche de débouchés. Ni les banques de céréales opérant dans les régions déficitaires, ni celles basées dans les régions excédentaires et obligées, les unes comme les autres, d'assurer sur de grandes distances le transport des céréales qu'elles vendent ou achètent, ne sont parvenues à résoudre ces problèmes de manière satisfaisante.
C'est dans les régions temporairement déficitaires, où l'on achète et vend des céréales de production locale, que l'on serait encore le mieux à même de résoudre les problèmes de logistique.
Il est tout à fait exceptionnel du moins dans les pays du Sahel que les conditions d'ensemble préalables au bon fonctionnement des banques de céréales, exposées au chapitre 5, soient remplies. Dans tous les autres cas, les banques de céréales sont tributaires de subvention pour assurer leur survie.
Quelles conséquences peut-on tirer de ces observations ?
(SOURCE: FALL. A. 1991)
Les adversaires des subventions objectent que ces dernières provoquent une distorsion de la libre concurrence régnant au sein de l'économie de marché. Cette «distorsion», parfaitement courante dans les pays industrialisés, peut être voulue pour des raisons sociopolitiques. Sans vouloir approfondir ici le débat politique sur le bien-fondé des subventions, il importe tout de même de constater que l'on ne peut pas refuser tout subventionnement en soi. Si l'on vise la mise en uvre optimale de ressources en vue d'atteindre un objectif déterminé, il conviendrait de se pencher sur la question de savoir si certaines formes de stockage collectif, déclarées non rentables en fonction de critères économiques, ne constituent pas en fin de compte une solution plus rentable que les alternatives possibles, à savoir le stockage commercial, étatique ou individuel et, partant, si elles ne mériteraient pas d'être subventionnées.
La question primordiale qui se pose ici est celle des solutions de rechange. Elle demande impérativement une solution sous peine de voir se multiplier dans les zones rurales concernées la paupérisation, voire le glissement dans la misère. Si l'on veut endiguer l'exode rural, c'est dans l'espace vital ancestral qu'il s'agit d'assurer la sécurité alimentaire des populations concernées. Les banques de céréales ne satisfont pas à cette exigence dans la mesure où elles ne sont pas capables d'opèrer sur une vaste surface, mais tout au plus de façon ponctuelle. Une nouvelle réflexion s'impose donc sur le remplacement éventuel des banques de céréales par les alternatives suivantes:
Intervention de l'Etat
Au cours de ces dernières années, la capacité des offices céréaliers nationaux à assurer la sécurité alimentaire a été presque sans exception entachée d'une image négative, ce qui a conduit les responsables à restreindre considérablement les attributions de ces offices au profit de solutions décentralisées. Eu égard à l'évolution politique actuelle, il est très peu probable qu'on en revienne dans un avenir rapproché à la situation antérieure, ce qui fait que cette solution de substitution ne présente à l'heure actuelle qu'une signification théorique.
Aide alimentaire
Les livraisons venues de l'étranger en dépit de l'existence d'excédents régionaux, de même que les fournitures gratuites (sauf en cas de catastrophe) sont à notre avis en contradiction avec les principes d'un développement soutenu. Il convient donc de s'y opposer, à la fois parce qu'elles découragent les efforts de production déployés par les paysans et paralysent le commerce, lequel perd dans ces conditions toute compétitivité. Les donateurs pratiquent en l'occurrence une politique hétérogène. La majeure partie de l'aide alimentaire se compose comme par le passé d'excédents réalisés dans les pays industrialisés.
Certains donateurs européens favorisent au contraire les achats de céréales dans le pays en développement lui-même ou dans des pays voisins. Les céréales sont ensuite revendues à prix réduit dans les régions déficitaires. Cette démarche est guidée par la conviction que c'est en dernier ressort à l'Etat qu'incombe la responsabilité de veiller à la sécurité alimentaire dans les régions structurellement déficitaires. Il serait cependant préférable que les opérations de ce type fussent organisées et menées sur les lieux mêmes où les besoins se manifestent. De manière concrète, on pourrait mettre en place des réserves de sécurité villageoises décentralisées et autogérées, dont l'Etat serait chargé de pourvoir au remplacement après épuisement (CILSS/CLUB DU SAHEL 1994; CCE 1993 b).
Nouvelles formes de sécurité alimentaire villageoise décentralisée
Guidés par le désir de régler aussi bien les problèmes de débouchés que les difficultés d'approvisionnement à la satisfaction des deux parties concernées, on s'efforce depuis quelques années d'organiser le transfert de céréales des régions excédentaires vers les régions déficitaires. Cette initiative a pris des aspects divers: regroupement de plusieurs banques de céréales sous forme d'unités opérationelles de plus grande envergure et plus efficaces, avec constitution de réseaux (ANDEMEL,T.I993; FEER 1990; FEER 1992); mise en place de «bourses céréalières» mettant en contact offreurs et demandeurs de céréales (bourses céréalières au Burkina Faso); passation de contrats d'achat entre associations villageoises des régions déficitaires et des régions excédentaires (DUVALIER, B. 1993)
Pour autant que ces tentatives visent à écarter les marchands de céréales, nous les considérons toutefois avec un certain scepticisme, car nous pensons que les associations villageoises d'auto-assistance sont moins bien armées que les commerçants professionnels pour assurer la répartition spatiale de la marchandise, autrement dit le transport et la commercialisation.
En revanche, des groupements de producteurs pratiquant le stockage collectif dans les régions excédentaires pourraient à notre sens offrir de bonnes perspectives en proposant au commerce des quantités relativement importantes de céréales de bonne qualité, ce qui les mettrait par là même en meilleure position pour négocier. On peut assimiler ce type d'activités à une sorte de coopérative de distribution dont le champ d'action - au contraire de celui des banques de céréales - est très réduit. Comme pendant, on pourrait envisager ici la création, dans les régions déficitaires, de coopératives d'achat s'approvisionnant auprès des commerçants professionnels et ne procédant qu'à un bref stockage intermédiaire de la marchandise, à savoir jusqu'à la cession au consommateur final.
Le rôle du commerce
Si l'on souhaite que les commerçants professionnels jouent un rôle d'intermédiaires, il faut que les conditions d'achat et de vente soient «correctes». Il existe en l'occurrence deux types de mesures particulièrement aptes à inciter les commerçants à s'investir également dans l'approvisionnement des régions structurellement faibles:
- Le relèvement du pouvoir d'achat des habitants
La meilleure façon d'y parvenir consiste à notre avis dans la mise en place de systèmes de crédit villageois permettant de financer des activités génératrices de revenus.
- Un rattachement optimisé au réseau de communications
Les prix élevés que demandent les commerçants pour leurs céréales dans la période de soudure reflètent pour l'essentiel la cherté du transport. Une étude détaillée consacrée au Burkina Faso montre que les frais de transport ne dépendent pas a priori de la distance parcourue, mais de l'état des routes et de la fréquence de passage des véhicules sur les divers itinéraires (KONATE, S. ETTRAORE, K. 1993).
Il est à long terme indispensable de rendre les régions déficitaires attractives pour les commerçants. Tant que cet objectif ne sera pas réalisé, l'octroi de subventions destinées à améliorer la sécurité alimentaire demeure une nécessité incontournable.
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