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Des pertes physiques se produisent à différents moments entre le mûrissement de la culture et la consommation de la denrée. Il est possible de réduire ces pertes à l'un ou l'autre de ces stades en améliorant les méthodes de récolte, de séchage, d'entreposage, de traitement ou de manutention. Cependant, ces diverses opérations sont interdépendantes et sont soumises aux phénomènes de l'environnement dans lequel elles s'effectuent - conditions climatiques, sociologiques, économiques, agronomiques, culturelles et écologiques.
Toute intervention visant à réduire les pertes doit se justifier économiquement et doit aussi être réalisable compte tenu du système après récolte existant. Si l'on veut réduire ou même simplement évaluer les pertes après récolte, il est indispensable de bien comprendre et d'analyser le fonctionnement du système dans un environnement donné. Ce n'est qu'alors que l'on pourra identifier les contraintes et les problèmes qui se posent, et les solutions ou améliorations à apporter.
En Sierra Leone, par exemple, I'étuvage du riz est pratiqué car, ainsi traité, le produit a une plus grande valeur nutritive et les consommateurs sont prêts à payer un peu plus cher pour ce type de riz; en même temps, il en facilite l'usinage et, comme le matériel servant à cette opération est rudimentaire, il diminue la quantité de brisures, donc limite les pertes. Alors que dans ce pays la fourniture de matériel d'étuvage est appréciée, en Malaisie le riz étuvé est considéré comme la nourriture du pauvre et beaucoup de gens sont prêts à payer plus cher du riz brut blanc bien usiné contenant peu de brisures. Ainsi, l'extension de l'étuvage dans ce dernier pays serait plutôt mal vue.
Les premières sections du présent manuel ont été consacrées à l'évaluation des pertes ainsi qu'aux principaux aspects techniques et biologiques des opérations après récolte. Mais, comme il a déjà été noté, il faut aussi considérer le système dans son ensemble avant d'entreprendre des innovations. Il faut notamment tenir compte de facteurs tels que le rapport coût/efficacité, le cadre institutionnel (système de commercialisation compris), la main-d'uvre disponible et les préférences du consommateur.
Le traitement d'une denrée après la récolte n'est entrepris que si l'opération peut rapporter quelque profit au propriétaire. Dans une économie de subsistance, cette activité peut porter sur l'entreposage de céréales ou de tubercules, son avantage étant une jouissance plus longue de ces produits. Les récoltes ont lieu généralement au même moment, ce qui entraîne une surabondance de produits qui ne peuvent être consommés immédiatement. Il faut donc en stocker une partie si l'on veut éviter des pertes.
Dans une économie mixte ou une économie monétaire, ou encore lorsqu'une culture n'est pratiquée que pour la vente, certaines activités après récolte ne seront entreprises par les producteurs que s'ils les jugent aptes à accroître leurs revenus. Ils espèrent que les mesures de prévention des pertes auront pour effet d'augmenter les rentrées d'argent, mais ne les adopteront que si le rapport coûts-avantages de l'opération est positif et que si les marchés sont à même d'absorber les excédents de production à un prix avantageux pour le producteur.
Les activités des projets de prévention des pertes de produits alimentaires (PPA) consistent en principe à introduire des techniques propres à réduire les pertes physiques et à élever les revenus des petits paysans. Elles visent à améliorer la manutention, le stockage et le traitement primaire des céréales, des légumes secs, des plantes-racines et des tubercules, et à appliquer des techniques de conservation de la qualité des fruits et des légumes. Au nombre de ces activités, on peut citer l'installation de structures d'entreposage aux niveaux de l'exploitation et du village, la conception et la construction d'entrepôts, la fourniture de petits séchoirs, l'amélioration du matériel de traitement (du battage du riz au calibrage et au conditionnement sur place des fruits et des légumes), le renforcement de la lutte contre les rongeurs et les insectes et la formation à tous les aspects de la réduction des pertes après la récolte.
Il importe que l'analyse initiale du rapport coût-bénéfice soit positive. Selon certains sondages, un rapport coût-bénéfice de 1:1,5 ne suffit pas pour persuader les agriculteurs de modifier leurs méthodes, mais un rapport de 1:2 offrira probablement une motivation valable. Cette indication peut avoir son importance tant pour les planificateurs qui projettent de réduire les pertes après récolte que pour ceux qui doivent exécuter les projets et assurer une formation dans ce domaine.
Par exemple, l'équipement d'une exploitation ou d'un village en cellules de stockage métalliques réduirait à coup sûr les pertes de céréales, mais le coût initial serait si élevé par rapport à l'économie de grain à court terme que les autres exploitants ne s'intéresseraient pas à cette nouveauté. Par contre, si le coût est modéré, le procédé fait tache d'huile. C'est ce qui se passe avec un conteneur recouvert de paille et de boue ne nécessitant qu'un peu d'insecticide malathion Dans ce cas, il faut seulement acheter le malathion; la paille et la boue sont faciles à ramasser, et l'on peut faire appel à la main-d'uvre familiale pour fabriquer le conteneur. Dans la région des Scarcies en Sierra Leone, le riz est entreposé dans de grandes caisses en bois et beaucoup de maisons en possèdent une. Les caisses mesurent environ 2 x 1,5 x 1,5 m et sont faites de planches de feuillus, matériau facile à trouver dans le pays. Elles sont à l'épreuve des rongeurs et des insectes et font souvent partie intégrante de la maison. Leur coût initial est dérisoire et elles durent des années. Cet exemple précis montre l'intérêt qu'il y a à utiliser des matériaux disponibles sur place et à bas prix.
Pour estimer le rapport coût-bénéfice, il convient aussi de se demander si la denrée est destinée à la consommation domestique ou à la vente. Si une amélioration de qualité ne concerne que la consommation familiale, les producteurs seront peu enclins à mettre de l'argent dans cette innovation. L'introduction de séchoirs simples est intéressante lorsque le produit est consommé en famille, même s'il présente une certaine décoloration et des arrière-goûts. La situation est différente quand la denrée doit être vendue, surtout si le prix de vente varie de façon sensible en fonction de la teneur en humidité ou des substances ajoutées. Le producteur souhaite, naturellement, corriger les imperfections de ses produits afin de les vendre au meilleur prix, mais encore faut-il que la différence de prix soit assez grande pour l'inciter à améliorer la qualité. Ceux qui, dans les services d'achats de céréales, fixent les prix devraient tenir compte du fait qu'en offrant un prix suffisamment attractif pour des céréales bien séchées (en général d'un degré hygroscopique maximal de 14 pour cent), les services publics se libèrent de la charge du séchage et incitent les exploitations à effectuer elles-mêmes cette opération. Ainsi, le séchage se fait plus rapidement, ce qui encourage le producteur à entreprendre une activité viable de prévention des pertes, réduit les pertes physiques et, en même temps, abaisse de façon non négligeable les dépenses de fonctionnement du gouvernement.
Il importe aussi d'inclure dans le rapport coût-bénéfice une marge pour le renouvellement des biens d'équipement. Les outils, machines ou installations d'entreposage fournis dans le cadre d'une action de prévention des pertes de produits alimentaires ont besoin d'être réparés et entretenus; ceux qui sont hors d'usage doivent être remplacés. Ces facteurs doivent être pris en compte dans l'estimation du coût initial de ces opérations.
L'analyse des rapports coût-bénéfice demande la plus grande précision. Il est plus facile d'additionner les coûts que de chiffrer les bénéfices. Des dépenses imprévues peuvent surgir; il convient donc de faire des estimations assez larges. Les bénéfices sont généralement calculés sur la base de prévisions des prix de vente futurs, à moins que la vente ne se fasse à un service officiel, comme un office de commercialisation, qui a déjà annoncé ses prix d'achat pour la campagne à venir. L'exemple suivant montre comment faire une analyse du rapport coût-bénéfice; il est fictif, mais les coûts et les prix correspondent à des chiffres réels enregistrés en Indonésie en 1983.
Dans un village produisant du manioc en Asie du Sud-Est, on se propose d'introduire un séchoir solaire dans le cadre d'un projet PPA. Le produit, sous forme de tranches de manioc, est destiné à être vendu à une usine de transformation qui le conditionne en boulettes pour l'exportation. Un des problèmes auxquels doit faire face l'usine de traitement est que les tranches de manioc séchées au soleil sont contaminées par des saletés et par des champignons, sont décolorées et prennent un goût désagréable. Les tranches mises à sécher sont piétinées par les animaux et les gens, reçoivent la pluie et la poussière apportée par le vent. Pour ce produit, l'usine de transformation paie 40 rupiahs par kilo. Pour des tranches de manioc propres, sans souillures, etc., elle donne 45 rupiahs par kilo. Un séchoir solaire permettrait d'éviter cette contamination. Tous les matériaux nécessaires à la construction d'un séchoir solaire existent sur place ou peuvent être achetés dans le village ou la ville voisine du canton (Kecematan). Ce séchoir a une capacité d'une tonne de tranches de manioc et le temps de séchage est de trois jours. La production et la transformation du manioc s'effectuent tout au long de l'année, ce qui signifie que l'on pourrait sécher annuellement 120 tonnes de tranches environ. En supposant que l'on ne sèche que 50 tonnes par an, le nouveau séchoir devrait durer plusieurs années si on le répare et si on l'entretient, mais le coût initial sera amorti en un an. On suppose également que le terrain du village sur lequel le séchoir sera construit sera accordé gracieusement, puisqu'il s'agit d'une installation dont pourront profiter de nombreux villageois. En outre, les producteurs fourniront leur propre main-d'uvre pour remplir et vider le séchoir, comme ils le font pour étaler le manioc sur le plancher à la manière traditionnelle. Les autres coûts imputables par exemple à la manutention, à l'emballage, à l'achat des sacs et au transport sont les mêmes, que le séchage se fasse selon le système traditionnel ou au moyen du séchoir solaire.
Coût de construction du séchoir solaire
Rupiahs1 |
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48 perches en bambou de 6 m de longueur chacune | 250 pièce | 12000 |
110 m de feuille de plastique blanc, 0,10 mm d'épaisseur | 200 le m | 22000 |
2,5 m de feuille de plastique noir, 0,10 mm d'épaisseur | 200 le m | 500 |
1 kg de clous | 200 le kg | 200 |
1 pelote de ficelle | 200 pièce | 200 |
9 planches de bois de 2 m x 25 cm | 1 000 pièce | 9 000 |
8 morceaux de grillage, maille n°18 en 2 m de largeur | 300 pièce | 2400 |
1,5 quintal de charbon de bois | 10 1e kg | 1 500 |
4 litres de goudron | 500 le bidon | 500 |
Main-d'uvre, 7 jours (1 charpentier, 2 ouvriers) | 5 000 par jour | 35 000 |
83 300 | ||
Total arrondi à | 90 000 | |
Bénefices | ||
Revenu normal pour 50 tonnes de tranches de manioc à 40 Rp/kg | 2 000 000 | |
50 tonnes de tranches de manioc propres à 45 Rp/kg | 2 250 000 | |
Profit supplémentaire dû à l'utilisation du séchoir solaire | 250 000 | |
Rapport coût-bénéfice = 90000: 250000 = 1: 2,7 |
Il s'agit donc d'une proposition attrayante.
1 (1983, 1 dollar U.S. = 970 rupiahs)
Si un projet de prévention des pertes de produits alimentaires a du succès, cela signifie que de plus grandes quantités de produits seront offertes à la vente. Dans certains cas, il y aura pour la première fois un excédent de production; dans d'autres, il y aura accroissement du volume commercialisable. Cela peut perturber le système de commercialisation. Il faudra stocker, transporter et vendre de plus grandes quantités. Il importe donc que les opérateurs commerciaux, qu'il s'agisse de particuliers, de coopératives ou d'organismes gouvernementaux, soient mis au courant de ce surplus de production afin de prévoir son écoulement. Cette démarche est d'autant plus importante que l'activité de prévention aura été entreprise loin de tout débouché. Une fois encore, il faut inclure dans l'estimation du rapport coût-bénéfice, au stade de la planification, les frais engendrés par l'écoulement du surcroît de production résultant de la prévention des pertes.
L'introduction du calibrage et du conditionnement des fruits et légumes destinés à l'exportation a pour effet de réduire les pertes qui se produisent durant le transport et les opérations de commercialisation, et d'augmenter les revenus. Mais il se peut que, sur les marchés urbains, les consommateurs de fruits et légumes aient de modestes revenus et réclament des produits bon marché. Dans ce cas, une action de PPA peut finalement se révéler une mauvaise tactique, car le coût du calibrage et du conditionnement se retrouvera dans le prix de vente, et les ventes baisseront. S'il en est ainsi, le gain obtenu par unité vendue risque d'être inférieur à la dépense engagée pour calibrer et mieux emballer le produit. L'idée n'est donc pas toujours réalisable; son intérêt dépend en grande du secteur de consommation concerné.
Il ne faut pas nécessairement tirer de cet exemple la conclusion que le calibrage et l'emballage ne sont pas recommandés pour les marchés intérieurs. Une opération limitée peut très bien se justifier, mais toute proposition, quelle qu'elle soit, doit être soumise à une évaluation du rapport coût-bénéfice. On commencera par lancer une opération pilote avec un petit groupe d'exploitants pour sonder le marché. Quand les fruits et les légumes abîmés sont jetés, la valeur du produit sain restant s'en trouve accrue; là encore, le conditionnement avec des matériaux locaux bon marché contribuera certainement à réduire les pertes survenant pendant la manutention et le transport. Le conditionnement peut aussi faciliter l'étalage dans les points de vente au détail et réduire encore les pertes. Il n'est pas possible de formuler des principes rigides dans ce domaine, car beaucoup de paramètres entrent en ligne de compte: emplacement, nature du marché, coût et disponibilité des matériaux d'emballage, traditions et comportement du consommateur. Un projet d'amélioration ne peut être considéré comme viable que lorsque des expéditions ont été faites à titre d'essai dans un périmètre limité. Si, après ces ballons d'essai, il apparaît que l'innovation envisagée est nettement profitable, il est fort probable qu'elle entrera dans les murs et sera adoptée ailleurs. Dans l'exemple indonésien décrit plus haut, il aurait été difficile de convaincre d'autres producteurs de l'intérêt du séchoir solaire si l'usine de transformation avait baissé ses prix quelques mois plus tard, même si l'écart entre le prix de la denrée courante et celui de la denrée propre était resté inchangé.
Les systèmes de commercialisation varient d'un pays à l'autre et comportent différents degrés d'intervention gouvernementale.
Le système de commercialisation influe sur les techniques de PPA et peut déterminer le degré de rentabilité des méthodes améliorées. Dans les économies étatisées, la production. l'offre et les prix sont entièrement planifiés et cette politique entraîne souvent de grosses pertes de fruits et de légumes par manque de motivations aux différents- stades du circuit production/commercialisation. Si c'est le gouvernement qui gère le système de commercialisation, son souci majeur est souvent d'ordre quantitatif: « Combien de tonnes de fruits et de légumes a-t-on distribuées? », plutôt que qualitatif: « Quelle était la qualité du produit distribué et a-t-on travaillé de façon rentable? ·. Dans ce contexte, la maîtrise technique des opérations après récolte ne suffirait pas à réduire les pertes.
Quel que soit le système de commercialisation - étatique, privé ou autre - il doit être efficace. S'il ne l'est pas, ou bien le consommateur devra payer le prix ou bien l'exploitant ne gagnera pas sa vie. Dans les deux cas, les pertes seront importantes. Les organismes de commercialisation ont pour charge d'écouler la production; ils peuvent être gérés par des particuliers, tels des agriculteurs qui vendent en gros et qui prêtent fonds, ou par des sociétés, des coopératives ou des compagnies gouvernementales. Quel que soit leur mode de fonctionnement, il importe qu'ils soient efficaces et qu'ils tiennent compte des coûts tout au long de la chaîne de commercialisation s'ils veulent diminuer les pertes. Les carences se traduisent non seulement par des pertes financières, mais également par des pertes physiques.
Tous les projets de développement qui impliquent des changements technologiques ont une incidence sur l'emploi; les programmes de prévention des pertes de produits alimentaires n'échappent pas à cette règle. Une enquête menée dans une zone traditionnellement productrice de riz en Asie a montré que même si l'introduction de la batteuse à pédale et de la machine à usiner le riz n'avait pas diminué les pertes de produits alimentaires, elle avait entraîné de considérables déplacements de main-d'uvre. En fait, ces innovations avaient été adoptées parce qu'elles économisaient de la maind'uvre.
Il importe de protéger l'emploi pour montrer que les innovations envisagées ne contribueront ni à créer ni à supprimer des emplois si, à côté, la main-d'uvre rendue disponible peut être occupée à la culture ou à la transformation. Une méthode couramment employée pour analyser la répartition de l'emploi consiste à tracer un histogramme des besoins de maind'uvre d'une famille agricole moyenne pendant un an.
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