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I. Introduction

Table des matières - Suivante

1.1. Préambule

1.1.1. Les nombreuses études menées sur la division sociale du travail au sein des ménages africains et sur les temps de travaux des femmes ont révélé que la femme africaine est soumise à une surcharge de travail assez considérable. Ceci, indépendamment de la zone écologique étudiée ou du groupe ethnique analysé. Suite à ces constats, une multitude de programmes d'implantation de moulins villageois ont été initiés.

Bien que leurs objectifs soient semblables, à savoir l'amélioration des conditions de vie des femmes rurales en Afrique, leurs modalités d'intervention et d'exécution sont souvent aussi multiformes que les organismes qui financent ces programmes.

Dans un souci de mieux comprendre les mécanismes sociaux, économiques et techniques qui permettent d'atteindre les objectifs fixés ainsi que de déceler les effets et les causes des succès et des échecs enregistrés dans ces programmes, la FAO a lancé une série de missions sur le terrain dans un certain nombre de pays sahéliens. Le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont fait aussi l'objet de missions entre 1982 et 1984. De plus, un séminaire de réflexion sur le même sujet a été tenu au Burkina Faso en 1984 avec le support technique et financier de la FAO; en 1985 cet organisme a financé aussi au Burkina Faso un programme de formation au bénéfice de mécaniciens chargés du suivi technique des moulins.

Les travaux menés jusque-là font état de la complexité et de l'hétérogénéité des facteurs qui facilitent l'insertion, le fonctionnement, la gestion mais aussi la survie d'un programme d'installation de moulins. De plus, la plupart de ces facteurs semblent étroitement liés, d'où la nécessité de les cerner tous dès le lancement d'un tel programme.

Le présent rapport se veut une amorce de synthèse de visites et d'expériences de terrains acquises dans trois pays sahéliens. Des révisions du texte pourraient s'avérer nécessaires à la lumière d'expériences menées, ou en cours, dans d'autres pays.

1.1.2. Par ailleurs, contrairement à une idée répandue, les expériences de terrain révèlent que la plupart des programmes actuels d'installation de moulins villageois n'atteignent que très partiellement les objectifs qu'ils se sont fixés. Il s'avère donc utile de procéder à un examen critique des objectifs de ces programmes et des hypothèses sous-jacentes à ces objectifs afin de dégager les limites et les contraintes qu'un programme d installation de moulins devrait s'efforcer de contourner. Cette analyse devant permettre aux décideurs et aux planificateurs tu développement de mieux saisir l'importance des facteurs qui seront analysés par la suite.

C'est à cet examen critique que le présent rapport tâchera de s'atteler en premier lieu. Tous les facteurs à prendre en compte lors du lancement d'un programme et les mesures nécessaires à son bon fonctionnement, voire à sa survie, seront analysés par la suite.

1.2. Les moulins villageois: de quoi s'agit-il?

En général, par moulin villageois l'on entend un broyeur (à meule ou à marteau) activé par un moteur (à diesel ou à essence) en milieu rural, octroyé à un groupement ou à une association de femmes d'un village donné. La plupart de ces équipements sont fabriqués en Occident ou, depuis quelques temps, en Inde ou au Brésil. Des moulins activés par des sources alternatives d'énergie commencent à peine à être introduits.

L'opération de mouture est la seule' concernée par le moulin; les autres opérations de transformation - décorticage, vannage, lavage et trempage ne sont pas touchées, Il faut cependant remarquer que tandis que le vannage, le lavage et le trempage des céréales ne sont pas des opérations particulièrement fastidieuses ou pénibles, le décorticage nécessite des dépenses énergétiques plus importantes que la mouture. 1/ De ce fait, dans certains pays sahéliens tels que le Niger, où la préparation de la plupart des plats traditionnels nécessite un décorticage soigneux, il arrive souvent que quand les femmes demandent "une machine" elles songent à une décortiqueuse à céréales plutôt qu'à un moulin. (Altarelli Herzog, 1984). Aucun programme n'a essayé - jusqu'ici semble-t-il - d'introduire des décortiqueuses à céréales de façon systématique.

1.3. Le plan du rapport

Une analyse des objectifs fixés par la plupart des programmes d'installation de moulins et des hypothèses sous-tendues par ces objectifs fait l'objet du chapitre 2. Le chapitre 3 contient une énumération et une discussion des critères qui devraient prévaloir dans le choix des villages d'intervention d'un programme d'installation de moulins. Le chapitre 4 fournit une série de paramètres qui devraient aider dans le choix technique des broyeurs et des moteurs. Le chapitre relate enfin une expérience en cours au Sénégal qui fait recours à des sources alternatives d'énergie, la traction animale. Toutes les mesures préalables à l'instailation d'une unité de mouture sont passées en revue au chapitre 5. Le chapitre suivant (6) discute des modalités de financement des équipements et de la contribution villageoise qui, en vue des expériences de terrain, seraient les plus appropriées. Les mesures qui devraient accompagner l'installation d'un moulin sont détaillées dans le chapitre 7. Le chapitre suivant(8) enfin, énumère et décrit les systèmes d: suivi à instaurer et l'évaluation du programme à effectuer en vue des expériences de terrain; ces deux aspects, souvent négligés, s'avèrent indispensables. Une série d'annexes complète le rapport.


II. Les objectifs - et les hypotheses sous-jacentes - des programmes 'installation de moulins villageois

Une analyse des objectifs que la plupart des programmes d'installation de moulins se sont fixés et un essai d'évaluation de la mesure dans laquelle ces objectifs sont réellement atteints pourrait sans doute aider à comprendre les limites et les contraintes de ces programmes. Mais ces limites et ces contraintes peuvent toutefois être mieux saisies si l'on essaie d'analyser aussi les hypothèses sous-jacentes à ces objectifs et d'en faire un examen critique à la lumière des expériences de terrain. C'est l'approche adoptée ici.

2 1. Les objectifs et les hypothèses

En général, la plupart des programmes d'installation de moulins villageois, initiés dans l'optique d'améliorer les conditions de vie des femmes rurales africaines, ont les objectifs suivants:

i) l'allègement du travail des femmes rurales et le dégagement de temps libre;
ii) l'utilisation du temps ainsi dégagé à des fins productives;
iii) l'initiation des femmes à la gestion commune d'un bien collectif;

iv) le dégagement de bénéfices qui, à terme, seraient investis dans le financement d'activités lucratives choisies par les femmes qui en seraient aussi les bénéficiaires. Il est en outre sous-entendu que les objectifs énumérés ci-dessus visent le plus grand nombre des femmes rurales d'un (ou des) village(s) d'intervention.

Quelles sont les hypothèses sous-jacentes aux objectifs énumérés cidessus? Le deuxième objectif implique que la substitution du travail productif au travail pénible soit presque automatique. L'hypothèse sousjacente au troisième objectif serait que la gestion par les femmes s'effectue sans accroc. Le dernier objectif, enfin, présuppose la rentabilité des équipements mais aussi une utilisation répandue des bénéfices réalisés par le fonctionnement des moulins au profit des femmes.

Quels sont les enseignements que l'on peut tirer des expériences de ter rain?

2.2. L'allègement du travail des utilisatrices et le dégagement de temps

Il n'y a pas de doute que le recours à la mouture mécanique réduit les dépenses énergétiques des utilisatrices ainsi que leur temps de travail

En fait, les femmes perçoivent tout à fait l'intérêt de ce type de mouture: ainsi, parmi 55 utilisatrices de moulins villageois de la zone de Fada N'Gourma au Burkina Faso, enquêtées en 1984, 36 (65,5 pour cent) citaient l'allègement du travail comme la raison principale de l'utilisation du moulin, tandis que le gain de temps était évoqué par les 19 autres. (Altarelli Herzog, 1984, c.p. 22).

Par ailleurs cette perception est confirmée par les résultats d'essais menés sur le terrain. Ainsi, d'après des essais menés au Mali, les dépenses énergétiques de la mouture traditionnelle varieraient entre 36 Kj et 56 Kj par kilo de céréales moulues (Vanek 1981), les variations des dépenses énergétiques étant dues au type de céréales moulues.

Si l'on considère qu'en général une femme moud plusieurs kilos de céréales par Jour, la réduction des dépenses énergétiques est sans doute considérable.

Quant au dégagement du temps libre, les enquêtes menées montrent que le recours à la mouture mécanique libère entre deux et trois heures du temps des femmes qui y ont accès (Altarelli Herzog, 1984 c.p. 22).

Evidemment, le temps et l'énergie ainsi libérés varient considérablement suivant la taille du ménage, la saison et le nombre de femmes dans le ménage. Les précédents chiffres toutefois s'assombrissent considérablement si l'on considère que ces gains de temps et d'énergie ne concernent qu'un nombre très limité de femmes d'un village donné - et cela sporadiquement ; de plus, dans certaines régions, ces gains ne peuvent être réalisés que pendant la saison sèche.

2.3. Le recours aux moulins par le plus grand nombre

Dans les pays sahéliens, trois facteurs semblent entraver une utilisation répandue des moulins:

i) le manque de disponibilités monétaires des femmes;
ii) le manque de céréales;
iii) l'organisation de la production agricole de certaines régions.

2.3.1. La pratique courante veut que le paiement de la mouture soit du ressort des femmes. "On a épousé une femme pour qu'elle nous prépare les repas. Si elle veut utiliser le moulin, qu'elle se débrouille", c'est le propos le plus courant que l'on entend sur le terrain. L'enquête menée dans le secteur de Fada auprès des utilisatrices de moulins villageois fait ressortir que toutes les utilisatrices paient pour l'usinage avec leurs propres ressources en saison sèche, et que seule une minorité d'entre elles (23 pour cent de l'échantillon) reçoit une aide des maris en saison des pluies; par ailleurs, cette aide n'est que sporadique et se limite aux périodes des invitations traditionnelles lors de la préparation des champs et lors des récoltes.

En effet, dans presque tous les programmes en cours, l'on se plaint des maigres apports céréaliers; de même on entend souvent sur le terrain les propos suivants: "Je n'apporte mon grain au moulin que quand je suis fatiguée" ou encore "Je n'apporte que le mais au moulin parce qu'il est plus difficile à moudre". L'enquête menée dans le secteur de Fada N'Gourma, au Burkina Faso, a aussi révélé que toutes les femmes enquêtées évoquaient le manque d'argent comme l'obstacle majeur à une utilisation accrue du moulin. Etant donné la faible disponibilité monétaire de la majorité des femmes rurales d'une part, et les nombreuses obligations familiales qui leur incombent d'autre part, la plupart d'entre elles éprouvent des difficultés à trouver les moyens financiers pour le paiement de l'usinage. Du coup, dans la plupart des cas, la mouture mécanique n'est accessible qu'à un nombre très restreint de femmes. Ce n'est que dans les villages où les femmes ont des activités lucratives très importantes que le recours au moulin par celles-ci est plus répandu, du moins pendant une partie de l'année.

Bien que les données dans ce domaine fassent éminemment défaut l'on peut déterminer des ordres de grandeur sur la fréquence de l'utilisation des moulins. Ainsi, à partir de données sur les consommations théoriques en céréales d'un certain nombre de villages sur une année et des données sur les quantités de céréales moulues par an dans le même village, la ration de la deuxième variable sur la première donne une indication du pourcentage d'utilisation des moulins pour ces villages (Tableau 1). Les données, aussi fragmentaires soient-elles, démontrent sans ambiguïté que le recours aux moulins est sporadique; En moyenne, tous pays et villages confondus, ce pourcentage s'élève seulement à 25 pour cent.

Pour les quatre villages du Niger, la moyenne s'élève à 16,4 pour cent; pour les villages maliens, elle serait de 31 pour cent tandis que pour les villages burkina-be, elle s'élève à 27,1 pour cent. En effet il y a des écarts très importants autour de ces moyennes, les écarts positifs ayant lieu, soit dans les villages carrefour où les moulins desservent une population importante des environs, soit dans les villages où les femmes ont des activités lucratives importantes.

Les quelques exceptions mises à part, l'on peut émettre l'hypothèse qu'en général dans les régions sahéliennes seules 10 à 15 pour cent des femmes d'un village donné ont recours aux moulins plus ou moins régulièrement, tandis que les autres n'y accèdent que très sporadiquement ou pas du tout.

Il est par ailleurs intéressant de remarquer que le volume de chiffres d'affaires des moulins villageois est plus important juste après les récoltes - quand le pouvoir d'achat des femmes est plus important du fait de la vente des produits des champs - et entre les mois d'avril et juin, période qui coïncide avec l'achat du mais, les stocks des céréales traditionnelles commençant à s'amenuiser.

Par ailleurs, parmi les femmes qui font recours au moulin d'une façon régulière, l'on trouve, outre celles qui de par leur statut et leur position sociale disposent de revenus plus importants, les femmes qui utilisent les moulins pour les produits destinés à la vente (dolo, beignets, boules, etc.). L'enquête menée au Burkina Faso secteur de Fada N'Gourma) auprès des utilisatrices a révélé que 83 pour cent des utilisatrices faisaient du petit commerce (Altarelli Herzog, 1984 c.).

TABLEAU 1 - TAUX THEORIQUE D'UTILISATION DE CERTAINS MOULINS VILLAGEOIS

Pays/Village Population Consommation théorique de céréales (tonnes/an)1/ Total apport céréalier au moulin (tonnes/an)2/ Taux théorique d'utilisation du moulin OBSERVATIONS
NIGER          
Banibangou 2427 242,7 72,9 30 Village carrefour; poste administratif; femmes pratiquent cultures maraîchères pour marché urbain.
Begorou Tondo 3000 300 27,7 9,29 Village déficitaire en céréales, pas d'activités lucratives des femmes.
Garbey Kourou 3500 350 81,6 23 Village avec beaucoup d'exode rural, femmes ont argent grâce aux remises.
Bagountara 3500 350 12,6 3,6 Village chroniquement déficitaire en mil pas d'activités lucratives des femmes,
Moyenne pour ce pays:     16,4    
MALI          
Kolla 312 31,2 12 39 Village carrefour, femmes pratiquent commerce.
Sokoni 353 35,3 10,6 30  
Picora 604 60,4 21,6 35,8 Femmes pratiquent commerce urbain.
Moutougoula 526 52,6 16,6 31,6 Femmes pratiquent cultures maraîchères pour exportation.
Dara 403 40,3 23,7 58,9 Femmes pratiquent cultures maraîchères pour exportation.
Baguinéda 355 35,5 7,4 20,8  
Kobalakoro 552 55,2 38,6 70,0 Village carrefour, centre commercial important. Activités commerciales pra
Koubalacoura 346 34,6 9,5 27,4 Femmes pratiquent maraîchage pour l'exportation.
Falani 774 77,4 15,5 20  
Fadabougou 184 18,4 3,5 19,3  
Déniékoro 900 90 5,7 6,3  
Founa 1196 119,6 14,6 12,3  
Moyenne pour ce pays:     30,85    
BURKINA FASO          
Ouïale 1820 182 24 13,2  
Bogoya 2500 250 48,2 19 Maraîchage traditionnel par les femmes.
Tibga 3653 365,3 68,9 18,8  
Bilanga 2378 237,8 44,9 18,8  
Tiguili 510 57 30,9 54,2 Village carefour femmes pratiquent commerce
Komadougou 822 82,2 57 69,3 Village carrefour; zone de drainage très importante; femmes pratiquent commerce.
Yambi 1701 170,1 30 17,6  
Nayouri 900 90 22,3 24,7  
Gayeri 3 814 381,4 32,6 8,5  
Moyenne pour ce pays:     27,1    
Moyenne générale:     24,8    

1/ Une moyenne de 100 kg/personne/an a été retenue.
2/ Ces chiffres concernent les années 1982-1983,

Des actions visant l'accroissement des revenus des femmes par la promotion d'activités lucratives, greffées à un programme d'installation de moulins, pourraient pallier, en partie, le problème de manque de disponibilités monétaires des femmes. Or, malheureusement, la plupart des programmes "moulins" sont conçus isolément. Même dans les projets qui se veulent intégrés, souvent l'insertion de ces nouvelles technologies n'est pas rattachée aux autres volets du projet; ainsi, un moulin est installé dans un village, tandis que parallèlement l'on mène une opération visant l'accroissement des revenus des femmes dans un autre village

Le recours à des sources alternatives d'énergie, susceptibles de réduire les prix de mouture, pourrait être une autre stratégie à mettre en oeuvre pour rendre la mouture mécanique accessible au plus grand nombre Dans ce domaine aussi, force est de constater que les perspectives ne sont guère favorables.

La plupart des programmes a privilégié-le recours aux alternatives techno-logiques coûteuses, broyeurs activés par des moteurs thermiques, en délaissant l'expérimentation et la recherche d'énergies alternatives qui seraient abordables à un plus grand nombre de femmes. Du coup, la recherche d'énergies alternatives moins coûteuses est à ses balbutiements.

2.3.2. Le manque de céréales - qui malheureusement semble se généraliser et s'étendre dans le temps en zone sahélienne - est aussi une entrave à l'utilisation des moulins. Les budgets familiaux de la plupart des ménages étant largement épuisés, les maigres ressources monétaires des femmes sont consacrées à l'achat des céréales, la survie de la cellule familiale étant prioritaire. En 1983/1984, les moulins villageois de la zone sahélienne ont enregistré des baisses considérables du volume du chiffre d'affaires; cette baisse a été chiffrée en moyenne à 45 pour cent au Burkina Faso, dans la zone de Fada N'Gourma (Altarelli Herzog, 1984 c ) et à 50 pour cent dans les régions de Dioïla et de Yorosso au Mali (Altarelli Herzog, 1985). Pour les autres régions du Sahel, bien que l'on ne dispose pas de chiffres exacts, les baisses ont été probablement du même ordre de grandeur, sinon plus graves.

2.3.3. L'organisation de la production agricole en vigueur dans certaines régions du Sahel peut aussi réduire l'utilisation des moulins et, partant, des bénéfices attendus par leur introduction. En fait, dans certaines régions du Niger, du Burkina et du Mali, la plupart des ménages déplacent dans les "hameaux de culture" pendant la saison des pluies, pour se rapprocher de leurs champs. L'éloignement des hameaux du village centre - qui peut atteindre jusqu'à 20 km - est une entrave à l'utilisation des moulins, les femmes ne pouvant pas se déplacer aisément sur de si longues distances. Par conséquent, elles sont obligées de se passer de la mouture mécanique pendant la période où elles en auraient le plus besoin, notamment la période pendant laquelle elles sont soumises à la surcharge de travail la plus importante de l'année du fait des travaux champêtres.

La mouture, même mécanique, étant effectuée dans ces pays sur des céréales préalablement mouillées, le problème de conservation des céréales moulues est une contrainte et ne permet pas aux femmes éloignées du moulin de profiter de ses services.

2.4. L'utilisation du temps libre et l'accroissement tes revenus des femmes

L'utilisation du temps libéré par la mouture à tes fins productives, et, partant, l'accroissement des revenus des femmes rurales, est souvent citée parmi les objectifs d'un programme d'installation de moulins. L'hypothèse qui sous-tend cet objectif serait que les femmes, libérées de la corvée de la mouture, utilisent le temps ainsi dégagé pour entreprendre des activités lucratives.

En fait, les expériences de terrain semblent démontrer que cette hypothèse de substitution de travail au profit d'activités rémunératrices n'est ni automatique, ni généralisée car, d'une part, les opportunités d'entreprendre des activités véritablement rémunératrices sont très limitées, et d'autre part, la multiplicité des tâches qui incombent aux femmes est telle qu'elle ne leur permet guère de chercher à entreprendre d'autres activités - surtout si les avantages monétaires attendus ne sont ni sûrs, ni importants. En d'autres termes, la plupart des femmes se comportent en véritables opérateurs économiques: l'opportunité du coût du travail est tellement élevée que la substitution du travail pénible au profit du travail productif ne s'effectue qu'à condition de bénéfices attendus sûrs et immédiats.

En effet, les expériences de terrain semblent démontrer que l'hypothèse de substitution du travail libéré au profit d'activités rémunératrices se vérifie dans les cas suivants:

i) là où les femmes ont déjà des activités rémunératrices importantes, telles que les cultures maraîchères pour les marchés urbains ou pour l'exportation, la culture de riz de contre-saison, l'embouche ovine ou un commerce florissant, elles ont des disponibilités monétaires qui leur permettent l'accès aux moulins: le dégagement du temps ainsi libéré leur permet de consacrer plus de temps aux activités rémunératrices. Les expériences des villageoises de Bani Bangou (région de Ouallam) au Niger, de Titao, Bogoya, Mené, Seguénéga, Goubray (région de Oushigouya), de Lilbouré (région de Yako), de Goungin au Burkina Faso sont des exemples du processus que l'on vient de décrire;

ii) là où il y a des initiatives en cours qui assurent aussi des débouchés et des gains immédiats, la présence d'un moulin facilite l'entreprise d'activités lucratives par les femmes. Ainsi au Mali, dans la région de Baguinéda, le recours aux moulins introduits par un projet PFL de la FAO a permis à un nombre important de femmes ressortissantes des villages d'installation de moulins d'adopter la culture des haricots verts pour l'exportation, tandis que dans les villages où il n'y a pas de moulins, cette culture a été adoptée presque exclusivement par les hommes.

Dans les autres régions, qui sont cependant la majorité dans les pays sahéliens, l'objectif n'est atteint que très partiellement (il n'y a que les femmes qui entreprennent le petit commerce), faute d'activités rémunératrices immédiates que les femmes peuvent entreprendre toutes seules.

Ainsi dans la région de Fada N'Gourma au Burkina Faso - région typiquement sahélienne- où en dehors de l'agriculture et des activités de cueillette de saison des pluies, les activités rémunératrices des femmes sont très limitées - ou du moins pas organisées - l'enquête auprès des utilisatrices des moulins a révélé que seule une petite minorité de celles-ci (29 pour cent) utilisait le temps dégagé par l'utilisation des moulins pour se consacrer à des activités productives. Ces activités, de surcroît, se limitaient au petit commerce (23 pour cent) et aux activités culturales pendant la saison des pluies (6 pour cent). Les autres utilisaient le temps libéré pour vaquer à d'autres occupations domestiques (41 pour cent), pour apporter un meilleur soin aux enfants (18 pour cent) ou pour se reposer (9 pour cent).

Bien qu'on ne dispose pas de chiffres pour d'autres programmes, les entretiens avec les femmes de plusieurs villages semblent confirmer tout à fait les résultats de cette enquête.

Une utilisation accrue des moulins en saison pluvieuse pourrait permettre aux femmes d'étendre les surfaces de leurs champs personnels grâce au temps libéré par le recours aux moulins. En fait cela ne semble pas se produire, car en général les ressources monétaires déjà maigres des femmes sont presque complètement épuisées en cette période. Dans les zones où la pratique des hameaux de culture prévaut, l'éloignement des femmes du lieu d'implantation du moulin est une entrave supplémentaire à son utilisation.

2.5. La gestion des moulins par les femmes

L'octroi d'un moulin à un groupement, ou à une association de femmes, devrait permettre à leurs membres d'apprendre à gérer un bien collectif. Par ce biais, les femmes seraient amenées progressivement à la gestion, individuelle et collective, d'autres activités économiques.

En réalité, dans la plupart des programmes, l'objectif de la gestion par les femmes n'est pas atteint; dans quelques cas, il n'est atteint que partiellement. En effet, plusieurs programmes ne spécifient pas au départ la place des femmes dans les comités de gestion: du coup les hommes (ou un homme) s'occupent de la gestion sous prétexte que celle-ci est compliquée pour les femmes.

Même là où l'on exige des comités de gestion féminins, les scénarios les plus courants peuvent se caractériser ainsi:

i) un comité de gestion féminin est désigné, mais ses membres ne sont pas du tout impliqués, ni dans le fonctionnement, ni dans la gestion du moulin: soit c'est le meunier qui exerce seul toutes les fonctions, soit la gestion est accaparée par un ou deux hommes du village;

ii) un comité féminin existe, les femmes sont impliquées dans le conditionnement et dans l'encaissement journalier, mais les véritables tâches de gestion sont effectuées par les hommes, souvent épaulés par l'encadrement. Dans ce cas qui peut être décrit comme "l'illusion de la gestion par les femmes" l'on utilise les femmes comme main d'oeuvre non rémunérée, les hommes gardant le pouvoir de décision et de contrôle. Un manque de sensibilisation et d'animation préalable du milieu, un manque d'analyse préalable avec les intéressés des rapports de force dans un milieu donné et d'une recherche en commun des solutions à envisager sont souvent à l'origine de ces situations.

Dans tous ces cas, l'octroi d'un équipement à un groupement de femmes n'a, en effet, pas de raison d'être; l'on pourrait aussi bien octroyer un prêt à des conditions favorables à un privé (homme ou femme) et s'assurer par la suite qu'il (elle) pratique des prix de mouture abordables.

Dans les cas - qui sont cependant très rares - où les femmes sont véritablement impliquées dans la gestion des équipements, elles contrôlent tout au plus les recettes; pour les dépenses, par contre, elles sont souvent tributaires des meuniers et/ou de l'encadrement. En effet l'on a tendance à confondre la comptabilité et la gestion; même quand on forme les membres du comité de gestion à une comptabilité simple et à leur portée, les rudiments de gestion prévisionnelle font rarement partie du programme de formation. Face à l'introduction d'une technologie nouvelle, sophistiquée et difficile à maîtriser, les femmes se trouvent le plus souvent dépourvues, car on ne leur donne presque jamais des outils simples de travail qui seraient à même de leur permettre d'exercer un véritable contrôle des décaissements et de la gestion.


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