LUTTE INTEGREE CONTRE LES INSECTES RAVAGEURS DANS LES GRENIERS DE MAIS EN ZONE RURALE
GUINEENNE; AVEC UNE REFERENCE PARTICULIERE AU GRAND CAPUCIN DU MAIS PROSTEPHANUS TRUNCATUS
(HORN)
(COLEOPTERA: BOSTRICHIDAE)
T.H. BALDE
Division de Protection des Végétaux (DPV), Conakry, République de GuinéeIntroduction
En République de Guinée, le maïs est un produit très important pour
la consommation humaine et pour l'alimentation de la volaille. Il est parfois utilisé
comme fourrage pour le gros bétail. Les données disponibles montrent que la culture du
maïs est surtout pratiquée dans les régions de la Moyenne et de la Haute Guinée. Selon
les résultats provisoires de l'enquête 1995, la production est estimée à 107.700
tonnes pour une superficie de 104.300 hectares et un rendement moyen de 1,03 t/ha qui est
de beaucoup inférieur à celui obtenu au plan mondial et qui est de 3,7 t/ha.
En Moyenne Guinée, le maïs est fréquent dans les tapades, en culture semi-intensive,
souvent associé aux tubercules et aux productions légumières. En Haute Guinée, il se
cultive en contre-saison dans les bas-fonds, tandis qu'en saison hivernale, il est en
association avec le riz sur les coteaux. En Basse Guinée, il est cultivé dans les
bas-fonds. La culture du maïs est peu répandue en Guinée Forestière.
D'origine américaine, le maïs cultivé en Guinée est attaqué par plusieurs nuisibles
dont les plus importants sont: Fusarium spp., Ustilago maydis, Helminthosporium spp.,
Alternaria spp., Puccinia maydis, Cladiosporium spp., adventices, nématodes,
rongeurs, oiseaux et insectes (Zonocerus variegatus, foreurs de tiges et ravageurs
des stocks...).
Dans le souci de pouvoir consommer le maïs de façon régulière tout au long de
l'année, les producteurs cherchent souvent le moyen de le stocker. Cependant, au cours du
stockage, le maïs est l'objet de détérioration par les ravageurs des stocks, dont les
principaux en Guinée sont les micro-organismes, les rongeurs, les acariens et les
insectes.
Parmi les insectes ravageurs des stocks, il faut signaler la présence de celui introduit
récemment en Guinée, le grand capucin du maïs Prostephanus truncatus (Horn)
(Coleoptera: Bostrichidae). Depuis son apparition en Moyenne Guinée dans les années
1980, le grand capucin du maïs (GCM), identifié par la division et le laboratoire de la
Protection des Végétaux, est devenu le ravageur le plus redoutable des stocks de maïs
et des cossettes de tubercules séchés en milieu paysan. Les récentes prospections
effectuées en Moyenne Guinée ont révélé des pertes importantes de matières sèches
s'élevant en moyenne à 20%, voire même des pertes totales de stocks dans les cas
extrêmes après six mois de stockage. En l'absence d'insecticides appropriés pour lutter
contre les ravageurs des stocks de maïs, les mesures appliquées par les paysans des
localités touchées pour limiter les dégâts se résument aux mesures traditionnelles
(application de cendre de bois, de pelures d'agrumes séchées, de poudre de piment,
etc.). Par conséquent, la lutte biologique classique apparaît comme étant l'option la
mieux indiquée pour la résolution du problème posé par le grand capucin du maïs.
Dans le cadre du développement et de l'exécution de mesures de lutte écologiquement
saines et durables contre les ravageurs du manioc, du niébé, du maïs, de la banane et
d'autres cultures vivrières, la Guinée, à travers son Programme de Lutte Biologique
(PGLB), bénéficie d'un appui de la part de l'Institut International dAgriculture
Tropicale (IITA). La Section Grand Capucin du Maïs, créée en 1992 au sein du PGLB, a
axé ses premières activités sur l'étude de la répartition du ravageur. De récents
résultats obtenus dans le sud-ouest du Bénin et au Kenya ont montré une bonne
efficacité du prédateur exotique Teretriosoma nigrescens Lewis (Coleoptera:
Histeridae) à réduire l'importance des dégâts occasionnés par le grand capucin sur le
maïs (C. Borgemeister, IITA, com. pers.). Eu égard à ses résultats encourageants,
la section Grand Capucin du PGLB a mis en place dès janvier 1996 une cellule d'élevage
en masse du prédateur au laboratoire de Protection des Végétaux de Kindia. Plus
récemment, des prospections pré-lâchers du prédateur ont été effectuées par le PGLB
dans les zones les plus touchées par le grand capucin, en collaboration avec
l'IITA-Bénin. Les premiers lâchers ont eu lieu en août 1997.
Bilan des Réalisations
Dans le cadre de la lutte intégrée contre le grand capucin du maïs, plusieurs activités ont été menées:
Etude sur la répartition du grand capucin du maïs en Guinée
Les différentes prospections réalisées pour déterminer la
répartition du grand capucin du maïs depuis la découverte de son foyer primaire Timbi -
Touni, dans la préfecture de Pita, ont permis de couvrir différentes préfectures de la
Guinée, dont trois (3) postes frontaliers: Koundara (Termessè), Gaoual (Foulamory) et
Forécariah (Pamalape) faisant respectivement limites avec les Républiques du Sénégal,
de Guinée Bissau et de Sierra Leone, ainsi que deux (2) ports: celui de Conakry et celui
de Kamsar.
Les résultats des opérations de piégeage montrent une infestation généralisée de
toutes les préfectures du Fouta, siège du foyer primaire. En Basse Guinée, sur les cinq
(5) préfectures prospectées, le ravageur n'a été retrouvé qu'à Télimélé, qui fait
limite avec la Moyenne Guinée, et à Kindia, précisément au centre semencier national,
fournisseur de la grande partie des semences aux différents projets et organisations
paysannes.
Elevage en masse du prédateur T. nigrescens
En novembre 1995, le Programme Guinéen de Lutte Biologique avait fait la requête auprès de l'IITA d'une culture de démarrage de T. nigrescens. Depuis janvier 1996, le prédateur est élevé en masse dans le laboratoire national de la PV de Kindia. Avec au départ 300 adultes de T. nigrescens pour la multiplication, 9000 insectes actifs ont été obtenus avant les premiers lâchers d'août 1996. Ce résultat a montré qu'il est possible de produire en masse le T. nigrescens en vue d'assurer une provision suffisante du prédateur pour les lâchers à effectuer.
Prospections pré-lâchers
En prélude au lâcher dans la région de Labé du prédateur T. nigrescens, deux prospections ont été effectuées entre mars et avril 1996 et 1997 conjointement par le PGLB et le Projet grand capucin du maïs de l'IITA-Bénin. Les objectifs de ces prospections étaient de:
* | cerner de près l'état actuel de l'incidence de P. truncatus dans la région de Labé, par usage de pièges à phéromones et surtout par inspection détaillée des stocks traditionnels de maïs; |
* | préparer la campagne de lâcher de T. nigrescens après identification des zones les plus appropriées pour une telle opération; |
* | collecter des données pré-lâchers liées, entre autres, aux dégâts et pertes subis par le maïs et à la densité de population des insectes, en particulier P. truncatus. |
En 1996, au total 30 pièges à phéromone ont été posés (puis
retirés au bout d'une semaine) dans un rayon de 50 km autour de Labé-Centre, le long des
grands axes routiers en direction de l'ouest, de l'est, du nord et du sud (voir au Tab. 2
les données brutes du piégeage et des lâchers de T. nigrescens dans la
région de Labé).
En 1997, 27 pièges à phéromone ont été posés suivant les mêmes axes qu'en 1996 et
33 greniers ont été prospectés contre 26 seulement en 1996 pour des échantillonnages
du maïs stocké. En 1996, l'enquête au niveau des greniers traditionnels n'a porté que
sur du maïs déjà égrené, vanné et conservé dans des sacs où pullulaient P. truncatus
et d'autres insectes ravageurs des stocks. Au niveau de chaque grenier, 500 grammes de
maïs grains ont été prélevés après le tamisage de l'échantillon pour une
séparation des grains sains et attaqués.
En 1997, 500 g de maïs ont été prélevés sur 30 épis encore disponibles,
généralement sous forme de semences, pour l'estimation des dégâts et pertes. Le
pourcentage de dégâts a été calculé en faisant le rapport du nombre de grains
attaqués multiplié par cent sur le nombre total de grains. Il y a lieu de préciser que
beaucoup de grains attaqués ou réduits en poudre avaient été éliminés auparavant
suite au nettoyage du maïs effectué par les paysans avant l'échantillonnage de 1996. La
zone de prospection a été subdivisée en: Labé-Nord, Labé-Sud, Labé-Est, Labé-Ouest
et Labé-Centre pour une meilleure interprétation des résultats (voir tab.1 et 2).
D'après le tableau 1, la fluctuation de la population de P. truncatus en 1997
est un peu faible par rapport à la situation obtenue en 1996.
Tab. 1 | Résultats des pièges à phéromones posés dans la Région de Labé en Guinée (période dobservation mars et avril 1996 et 1997). |
1996 |
Zones |
Pièges/zone |
0 |
1-50 |
51-150 |
>150 |
Nord |
5 |
0 |
1 |
3 |
1 |
Sud |
4 |
0 |
1 |
3 |
0 |
Ouest |
9 |
0 |
1 |
4 |
4 |
Est |
9 |
0 |
4 |
5 |
0 |
Centrale |
2 |
0 |
0 |
0 |
2 |
Total |
29 |
0 |
7 |
15 |
7 |
1997 |
Nord |
5 |
0 |
2 |
3 |
0 |
Sud |
6 |
0 |
5 |
1 |
0 |
Ouest |
7 |
0 |
6 |
1 |
0 |
Est |
7 |
0 |
7 |
0 |
0 |
Centrale |
2 |
0 |
0 |
1 |
1 |
Total |
27 |
0 |
20 |
6 |
1 |
En effet, bien que l'insecte soit présent dans tout le milieu de
prospection, près de 75% des pièges (20 sur 27) ont capturé un nombre relativement
faible (moins de 5 P. truncatus par piège) au bout d'une semaine, alors qu'en
1996, seulement 27% des pièges (7 pièges sur 26) était enregistrés dans cette
catégorie. Le seul piège comportant plus de 150 P. truncatus est celui posé
au niveau du marché de Labé, ce qui confirme l'idée selon laquelle le circuit
commercial du maïs constitue un réel couloir de transmission aidant dangereusement à la
propagation du ravageur.
En examinant le tableau 1, il est aisé de constater que les zones Nord et surtout Ouest
de Labé sont les plus menacées. En effet, alors que 100% et 80% des greniers prospectés
étaient infestés par P. truncatus respectivement dans la zone Ouest et Nord
de Labé, environ 43% et 50% des greniers en étaient dépourvus respectivement dans les
zones Sud et Est. Le pourcentage moyen de perte obtenu dans la zone Ouest de Labé fait
environ le double de celui respectivement enregistré dans les autres zones. Des valeurs
maximales de perte de près de 27% sont exceptionnellement obtenues dans cette zone Ouest.
Tab. 2 | Données brutes du piégeage de P. truncatus et des lâchers* de T. nigrescens dans la région de Labé (Guinée) en 1997. |
Lieu de piégeage |
Sous-Préfectures |
Préfectures |
Zones |
No. P. truncatus |
Pita-Centre |
Pita-Centre |
Pita |
Sud |
57 |
Kokoulo |
Pita-Centre |
Pita |
Sud |
8 |
Daradhepole |
Daralabé |
Labé |
Sud |
16 |
Lengui Petel |
Popodara |
Labé |
Ouest |
39 |
Bouroundji |
Popodara |
Labé |
Ouest |
19 |
Laafou-Centre |
Laafou |
Lélouma |
Ouest |
47 |
Koreyghani |
Koura Mangui |
Lélouma |
Ouest |
10 |
Bourouwal Korbe |
Korbe |
Lélouma |
Ouest |
28 |
Lélouma-Centre |
Lélouma-Centre |
Lélouma |
Ouest |
65 |
Popodara-Centre |
Popodara |
Labé |
Ouest |
34 |
Antenne |
Labé-Centre |
Labé |
Centrale |
114 |
Marché |
Labé-Centre |
Labé |
Centrale |
287 |
Toury |
Tountouroun |
Labé |
Nord |
37 |
Kourahoe Lingue |
Tountouroun |
Labé |
Nord |
57 |
Sarekali |
Tountouroun |
Labé |
Nord |
91 |
Sireya |
Kalan |
Labé |
Est |
44 |
Dionfo-Centre |
Dionfon |
Labé |
Est |
2 |
Lappi |
Tangaly |
Tougoué |
Est |
39 |
Balafoya |
Tangaly |
Tougoué |
Est |
47 |
Moukijigue |
Koin |
Tougoué |
Est |
28 |
Samaya |
Kankalabé |
Dalaba |
Est |
13 |
Djibery |
Kankalabé |
Dalaba |
Est |
21 |
Djaberepili |
Bodié |
Dalaba |
Sud |
2 |
Wenduseguinta |
Kebaly |
Dalaba |
Sud |
34 |
Telire |
Bourouwal |
Pita |
Sud |
21 |
Madina Maleri |
Sannou |
Labé |
Nord |
103 |
Gosso |
Sannou |
Labé |
Nord |
29 |
* | Les lieux des lâchers de T. nigrescens dans la Préfecture de Lélouma étaient Laafou, Diountou Missidé et Lélouma-Centre, et dans la Préfecture de Labé les villes de Sarékaly, Daleen, Hafia et Labé-Centre. |
Le complexe parasitaire très réduit est fortement dominé par P. truncatus
qui est essentiellement responsable des grands dégâts observés. S'agissant des
coléoptères, on y distingue par ordre d'importance numérique P. truncatus,
Tribolium castaneum, Sitophilus spp. et Oryzaephilus spp. (qui s'est fait très
rare). Des dégâts considérables, surtout de Sitotroga cerealella et parfois de Plodia
interpunctella, sont observés dans quelques greniers. Les grains de maïs affichaient
une faible teneur en eau, ce qui explique probablement la faible fluctuation de Sitophilus
spp. et l'absence à certains endroits de Sitotroga cerealella. Il est à
signaler que les densités d'insectes mentionnées sont nettement inférieures à la
réalité car l'égrenage et le vannage du maïs pratiqués par les paysans avant la mise
en sacs ont dû laisser s'échapper nombre d'insectes.
Il résulte des enquêtes menées que P. truncatus existe en abondance et
constitue une sérieuse menace pour le maïs produit et stocké dans la région de Labé.
L'absence de mesures de lutte appropriées et d'ennemis naturels locaux du P. truncatus
commandent de procéder au lâcher de l'ennemi naturel exotique T. nigrescens.
Premier lâcher de T. nigrescens
Dans le cadre du premier lâcher de T. nigrescens, ennemi naturel du GCM, 8 sites ont fait l'objet d'un lâcher à raison de 1000 individus par site. Il s'agit de Popodara, Laafou, Diountou-Missidè, Lélouma-Centre, Sarékali, Daleen, Hafia et Labé-Centre. D'autres lâchers sont prévus dans toutes les zones de la région menacées par le ravageur. Du fait de la très récente pose de pièges à phéromone dans les 8 sites, les résultats de l'évaluation post-lâcher de l'ennemi naturel ne seront disponibles qu'ultérieurement.
Conclusions
Le grand capucin du maïs, découvert en 1987 dans la préfecture de Pita, est actuellement présent dans toutes les préfectures de la région de Labé et dans certaines zones de la Guinée Maritime. Compte tenu de la sévérité des dégâts causés par ce ravageur sur les stocks de maïs qui demeure, du reste, l'une des denrées les plus appréciées par la grande majorité des populations des zones concernées, il y a lieu de mettre en place une stratégie de lutte fondée sur la sensibilisation des paysans en vue de la modification de quelques-unes de leurs pratiques traditionnelles de production et de stockage du maïs (par exemple récolte précoce suivie du séchage, hygiène du milieu de stockage, etc.) en attendant l'établissement de T. nigrescens pour un contrôle effectif du P. truncatus. En outre, du fait de la rapide propagation du grand capucin du maïs, il est aujourd'hui nécessaire, compte tenu de la proximité des préfectures affectées et du temps écoulé depuis la première prospection, que les régions de Kankan et N'Zérékoré, jugées jusqu'à présent indemnes, soient soumises à un contrôle.
Références
1. | Rapport final Programme Guinéen de Lutte Biologique (PGLB) Conakry, 1996. |
2. | Le Grand capucin du maïs (Prostephanus truncatus) en Guinée. Rapport d'activités de la section Grand capucin du PGLB, 1996. |
3. | Proposition de projet sur la lutte intégrée contre le Grand capucin (Prostephanus truncatus), les foreurs de tige et les maladies du maïs en République de Guinée, Août 1996. |
4. | Rapport de mission - Incidence de Prostephanus truncatus et bref aperçu sur le système de production et de conservation du maïs dans la région de Labé. Département du Fouta - République de Guinée, 31 mars - 10 avril 1996. |
5. | Lettre de politique de développement agricole No 2 volume 1 Document de synthèse, mars 1997. |
6. | Rapport de mission - Appréciation de la dispersion de Prostephanus truncatus et du degré d'infestation et de dépréciation des stocks de maïs avant le lâcher de l'ennemi naturel Teretriosoma nigrescens dans a région de Labé. Département du Fouta - République de Guinée, 23 mars - 3 avril 1997. |