G.N. Kibata & F.L.O. Nangayo
Institut de la Recherche Agricole du Kenya (KARI), Nairobi, Kenya
Introduction
Les pullulements du grand capucin
du maïs (GCM) et la propagation par la suite de ce ravageur dans les pays d'Afrique de
l'Est ont occasionné des pertes particulièrement importantes dans les récoltes de
maïs. Ces pertes qui tournaient habituellement autour de 2 à 5% (de Lima, 1979)
oscillèrent entre 9 et 34% (Hodges et al., 1983). Au Kenya à lui seul, ces
pertes atteignent parfois 200 000 t par an selon les estimations (Farrell et al.,
1996).
Depuis ses premiers pullulements en 1983 (Kega & Warui, 1983), le GCM a été confiné
dans les districts du sud-est du Kenya (une zone largement déficitaire en maïs).
Toutefois, la menace de voir le GCM se propager dans les grandes régions de production
maïsicole n'a jamais cesser de planer, surtout depuis l'avènement de la politique de
libéralisation du commerce du maïs entrée en vigueur en 1994. C'est dans ce contexte
qu'une Initiative de Lutte Intégrée contre le GCM, financée par l'ODA (Administration
dOutremer pour le Développement) du Royaume-Uni, a été lancée au Kenya de 1990
à 1993. Les grands objectifs de cette initiative étaient de réduire l'impact du GCM sur
le maïs stocké de manière traditionnelle, grâce à l'élaboration d'une stratégie de
protection intégrée contre les ravageurs importants du maïs après récolte. Diverses
approches furent adoptées, parmi lesquelles le suivi national de la répartition du GCM,
l'application de règles phytosanitaires, des études sur l'écologie du GCM, des mesures
de lutte chimique, biologique et culturale.
Suivi de la répartition du GCM au Kenya
En 1991, le KARI a été chargé
de suivre la répartition du GCM au Kenya en réponse à la menace que représentait
l'insecte pour les réserves de maïs du pays. Un réseau de pièges à phéromone, avec
des appâts delta, fut mis en place afin d'obtenir des données spatiales et temporelles
sur la répartition du GCM au Kenya, de donner l'alerte en cas de nouveaux pullulements
et, ainsi, d'aider à cibler les opérations de lutte sur les zones de pullulement. En
tout 44 sites de piégeage permanent (maintenant réduits à 31) furent choisis dans
les principales régions de culture de maïs à travers le pays. Les pièges sont
remplacés toutes les 2 semaines avec l'aide du personnel de vulgarisation du ministère
de l'Agriculture qui se charge aussi de compter et d'enregistrer le nombre de GCM adultes
capturés pendant les 2 semaines de piégeage. Les pièges sont ensuite renvoyés aux
laboratoires nationaux où les GCM capturés sont identifiés avec précision.
Au fil des ans, le GCM a été confiné dans le sud-est du pays. Sa dispersion a été
lente mais constante. En effet, les premières captures dans des pièges ont été faites
à Mwea (Kenya central) et à Kisii (Kenya occidental) en 1995, et l'année suivante a vu
l'apparition du GCM à Nakuru, Thika, Migori et Kisumu. Les derniers signalements de la
présence du GCM ont eu lieu en 1997 à Mwingi, Makueni, Isebania et Busia. Des prises
particulièrement importantes ont été effectuées à Nakuru pendant le deuxième
trimestre de 1997, mais cette situation pourrait être en rapport avec l'introduction de
maïs infesté dans cette région. La répartition actuelle du GCM (Fig. 1) montre que le
ravageur représente une réelle menace pour le stockage du maïs dans le pays. La
propagation du GCM à la Vallée du Rift et, encore plus loin, au Kenya occidental revêt
une grande importance en termes de sécurité alimentaire du Kenya car le ravageur est
maintenant présent dans les régions excédentaires en maïs où les pertes risquent
d'être élevées en raison des longues périodes de stockage. L'incidence du GCM dans les
grandes régions de culture du maïs du Kenya a déjà été communiquée au ministère de
l'Agriculture qui lancera bientôt des campagnes de sensibilisation dans les régions
touchées.
Intervention phytosanitaire
Dès que le premier pullulement de GCM fut confirmé en 1983 dans la région de Taita-Taveta, le ministère de l'Agriculture élabora des plans d'action visant à freiner la progression du ravageur. Les actions visaient également à éliminer le ravageur, un concept vite devenu irréalisable. Ces actions consistaient entre autres à:
* | déclarer
un état d'urgence dans le secteur public par l'intermédiaire des départements
autorisés (administration, commerce, douane); |
* | imposer
des restrictions phytosanitaires dans la région touchée; |
* | sensibiliser
l'opinion publique à l'existence du ravageur au moyen de réunions et de brochures
d'information; |
* | mettre
en place des centres de traitement pour le maïs égrené; |
* | conseiller
aux paysans d'égrener et de traiter tout leur maïs avant le stockage; |
* | fournir
gratuitement des insecticides pour enrober les grains et pour pulvériser les lieux de
stockage; |
* | inspecter
régulièrement les stocks de maïs; |
* | louer
les services de transporteurs pour approvisionner la région infestée en maïs sain; |
* | instruire
le Conseil National des Céréales et des Produits Agricoles de fumiger tout le maïs qui
entre dans ses dépôts; |
* | préparer
des enquêtes régulières (semestrielles) sur le GCM; |
* | commencer des recherches sur la lutte contre le GCM. |
Fig. 1 | Linfestation du grand capucin du maïs au Kenya entre 1983 et 1997. |
Les restrictions phytosanitaires imposées à la région de Taita-Taveta par annonces, conformément aux dispositions de la loi sur la protection des végétaux (Chap. 324), furent rigoureusement appliquées par la fonction publique. Elles ont permis de restreindre le déplacement du maïs de la région infestée vers l'arrière-pays. Au début, la quarantaine fut efficace, mais la pénurie d'inspecteurs ainsi que le manque de bonne volonté de la part des commerçants ont peu à peu découragé les initiatives. La fourniture de maïs sain à la région infestée a également été entravée par des problèmes de logistique, de décaissements et de bureaucratie. La distribution gratuite d'insecticides n'a pas non plus duré dès que les donateurs (ODA, GTZ) ont cessé de la financer. Néanmoins, les enquêtes nationales et le suivi régulier du GCM se sont poursuivis et ont finalement été remplacés par le réseau de pièges à phéromone.
Compréhension de l'écologie du GCM
Une bonne compréhension de
l'écologie des insectes est indispensable pour réussir la mise en uvre de
stratégies de lutte intégrée contre les insectes nuisibles, et le GCM ne fait pas
exception à cette règle. Le projet KARI/IIBC/NRI sur le grand capucin du maïs a
entrepris une étude écologique visant, entre autres, à définir les divers hôtes du
GCM, à déterminer la phénologie du GCM en plein champ et à étudier sa migration dans
les greniers ruraux.
Il a été démontré que la bostriche type que constitue le GCM pouvait se multiplier sur
une large gamme d'hôtes ligneux (Tableau 1), dont certains sont d'importantes espèces
agroforestières. Au cours des enquêtes menées en plein champ dans l'est du Kenya, il a
été trouvé que deux espèces d'arbres indigènes, Commiphora africana (Arn.)
Engl. et Commiphora riparia Engl. favorisaient la reproduction des populations de
GCM, ce qui souligne la nécessité d'apprécier le réservoir que constitue le milieu
naturel pour le GCM (Nangayo et al. 1993). Il est apparu que l'abondance du
GCM dans le milieu naturel était en corrélation positive avec l'humidité et la
température ambiantes (Nangayo, 1996), mais ne coïncidait pas avec la récolte et
le stockage du maïs dans le Kenya oriental, ce qui n'est pas surprenant pour un insecte
qui semble avoir évolué en foreur du bois. Avec les nombreuses espèces ligneuses qui
semblent se prêter à la reproduction des populations de GCM, on pourrait conseiller aux
paysans d'éviter, en cherchant des matériaux pour la construction de leurs greniers à
maïs, les hôtes potentiels du GCM.
D'autres découvertes indiquent que les épis et les rafles de maïs abritent aussi des
quantités suffisantes de GCM et devraient être enterrés ou détruits pour réduire les
sources éventuelles d'infestation (Wekesa, 1994). Il est également apparu que les
greniers lourdement infestés influent sur l'infestation près-récolte, ce qui signifie
que partout où cela est possible, les greniers devraient être placés aussi loin que
possible des champs de maïs.
Lutte contre le GCM à l'aide d'insecticides
Les premières recherches ont
montré que les pyréthroïdes étaient supérieurs aux organophosphorés dans la lutte
contre le GCM. En mélangeant 0,5% de perméthrine en poudre à du maïs égrené à
raison de 50 g de produit par sac de 90 kg de maïs, on a obtenu le niveau de lutte
souhaité.
En pulvérisant 25% de perméthrine en concentré émulsionnable sur des structures de
stockage à une dose de 80 mg par mètre carré, on a obtenu une protection satisfaisante
contre le GCM (Muhihu & Kibata, 1995). L'on s'est cependant rendu compte que les
pyréthroïdes étaient inefficaces contre les autres ravageurs des produits stockés qui
coexistaient avec le GCM dans le milieu de stockage. De plus amples investigations on
révélé que les cocktails d'insecticides (pyréthroïde/PO) étaient de meilleures
alternatives pour la conservation des céréales dans la région infestée de GCM
(Mutambuki et al., 1989).
Tab. 1 |
Les espèces de bois favorables à la reproduction du grand capucin du maïs au laboratoire au Kenya (daprès Nang'ayo, 1996). |
Famille |
a. Espèces
darbres cultivées Anacardium occidentale Mangifera
indica b. Les arbres indigènes c. Les espèces agro-forestières |
Anacardiaceae Anacardiaceae
|
D'autres recherches financées par ODA ont confirmé l'adéquation des cocktails d'insecticides (Giles et al., 1995). Au terme du criblage des insecticides, l'utilisation des produits suivants a été recommandée dans les régions infestées de GCM sur le maïs égrené à raison de 50 g de poudre à bien mélanger avec 90 kg de grain sec:
Céréales égrenées
* | "Actellic super" (pyrimiphos - méthyle 1,6% / perméthrine 0,3% respectivement), ou |
* | "Sumicombi" 1,8% (fénitrothion 1,5% / fenvalarate 0,3% respectivement). |
Parmi les autres cocktails recommandés, citons le mélange pyrimiphos-méthyle/ déltaméthrine.
Epis déspathés
On peut appliquer 60 g d'Actellic super ou de
sumicombi sur des couches d'épis dans un sac de jute standard de 90 kg rempli.
Chaque couche d'épis de 15 cm d'épaisseur ou moins devra être uniformément aspergée
d'insecticide. Les produits recommandés peuvent être pulvérisés sur les épis de maïs
et, en guise de traitement résiduel, dans les greniers vides.
L'avantage qu'on peut tirer de l'utilisation d'insecticides est un facteur important à
prendre en compte dans la prise des décisions.
Lutte biologique contre le GCM à l'aide de Teretriosoma nigrescens
En 1992, suite à plusieurs années d'études réalisées par des organisations de recherche en Afrique et en Amérique centrale, un coléoptère prédateur, Teretriosoma nigrescens Lewis (Coleoptera: Histeridae), fut introduit dans les régions chaudes et sèches de l'est kenyan, grâce à une initiative conjointe KARI/IIBC/NRI. Le suivi par la suite de la progression et de l'impact du prédateur a montré que T. nigrescens s'était établi et dispersé sur dix kilomètres sous le vent à partir du site de lâcher et que sa présence était liée à une nette baisse des prises de GCM adultes dans les pièges à phéromones (Nangayo et al., sous presse). Il n'est certes pas possible de lier la réduction de l'incidence des GCM adultes dans le milieu naturel à la réduction de leur incidence dans les greniers à maïs ruraux, mais il est possible que les réductions observées dans les populations latentes dans l'environnement entraînent une faible incidence du ravageur dans les greniers. En fait, les données d'essais de stockage en milieu réel en Afrique de l'Ouest montrent une réduction considérable de l'infestation de GCM et une baisse des pertes de maïs avec l'établissement de T. nigrescens. Des lâchers du prédateur de même qu'une analyse d'impact sont prévus pour les principales régions maïsicoles du pays; ces régions plus humides et plus fraîches ne sont que récemment tombées sous l'emprise du GCM.
Fig. 2 | Un arbre de décision pour les paysans et vulgarisateurs pour la protection du maïs dans les stocks paysans (daprès Farrell et al., 1996) |
Autres activités
Formation en gestion post-récolte
Cette formation, initiée et coordonnée par le ministère de l'Agriculture, était considérée comme une importante contribution puisqu'elle stimulait et renforçait les compétences techniques du personnel de vulgarisation. Des ouvrages d'information destinés à toutes les parties concernées ont été produits et diffusés (Anon., 1993).
Sensibilisation de l'opinion publique
La sensibilisation de l'opinion publique est facilitée par la production d'affiches, d'émissions radiophoniques (avec l'assistance du Centre d'Information Agricole) et d'une brochure d'informations techniques (produite par le KARI à l'intention du personnel de vulgarisation. A cet égard, il importe de noter la production d'un manuel de formation complète sur la lutte contre le GCM au Kenya, grâce à un partenariat entre le ministère de l'Agriculture, la GTZ et le KARI. Le manuel est conçu pour le personnel de vulgarisation et diffuse des informations sur le stockage amélioré à l'intention des producteurs et des commerçants de maïs.
Protection intégrée
Les activités décrites plus haut ont été intégrées dans un ensemble de protection intégrée (PI) qui a été préparé à l'intention du personnel de vulgarisation et des agriculteurs afin de décider de l'approche la plus rentable pour combattre les ennemis des cultures après récolte au Kenya (Farrell et al., 1996). Une matrice de prise de décision donne une idée de ce qu'un agriculteur doit faire dans différentes circonstances (Fig. 2). Il reste néanmoins un certain nombre de défis à relever pour obtenir un ensemble PI plus intégré pour les ravageurs des greniers en général et le GCM en particulier. Il s'agit entre autres:
* | d'optimiser l'impact de T. nigrescens dans les greniers, peut-être en sélectionnant des souches de ce prédateur tolérantes aux insecticides; |
* | de mettre au point des variétés de maïs tolérantes au GCM, une question qui devrait intéresser les chercheurs; |
* | d'évaluer l'impact de T. nigrescens dans diverses zones agro-écologiques du Kenya, en particulier dans les grandes régions maïsicoles aux températures plus fraîches; |
* | d'aborder la question de l'instabilité des insecticides qui se pose dans les régions côtières chaudes et humides. |
Références
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