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La caractérisation et l'évaluation des plantes a racines et tubercules et des bananes plantains

Introduction
Matériels et méthode
Résultats
Conclusion
Bibliographie
Résumé

Vincent Lebot

Introduction

Les cultivars des plantes à racines et tubercules (Colocasia, Dioscorea, Ipomoea, Manihot, Xanthosoma spp....) et des bananes plantains (Musa spp.) ont d'importantes caractéristiques communes: leur stérilité et leur multiplication végétative exclusive. L'une impliquant habituellement l'autre, le paysan n'utilise jamais de graines lors de ses plantations.

La plupart des cultivars sont en effet stériles pour diverses raisons d'ordre génétique (hauts niveaux de ploïdie, mutations inhibitrices de la sexualité, parthénocarpie). Ils ne bénéficient donc pas des recombinaisons génétiques obtenues par voie sexuée pour s'adapter à un nouvel environnement. Ces plantes sont donc vulnérables lorsqu'un nouveau pathogène est introduit et leurs potentialités adaptatives sont donc quasi nulles par rapport à des espèces à multiplication sexuée. Les ressources génétiques sont par conséquent de très grande valeur et doivent être soigneusement conservées et protégées d'une pari, parce que la sélection d'un matériel végétal sain et performant en dépend et d'autre part, parce que pour bon nombre de ces plantes l'amélioration génétique reste problématique. Pour le moment, seule la sélection clonale produit rapidement des résultats intéressants.

Toutes ces espèces sont par ailleurs, fortement hétérozygotes du fait de leur allogamie et pour certaines de leur dioécie. En conséquence, leurs germoplasmes exhibent régulièrement un fort polymorphisme. Il s'exprime de manière spectaculaire au niveau morphologique, mais existe aussi aux niveaux moléculaire et physico-chimique. La sélection de cette remarquable variabilité détermine directement le potentiel des cultures, des récoltes et donc la qualité du produit final livré aux consommateurs. En fait, c'est toute la filière qui est dépendante des performances et caractéristiques du matériel végétal sélectionné. La culture d'un clone plutôt qu'un autre, peut suffire à faire péricliter ou au contraire à développer une filière et les exemples sont trop nombreux pour être cités ici.

La caractérisation et l'évaluation des cultivars sont donc des étapes fondamentales dans le processus d'amélioration et de développement de ces cultures. Leur variabilité génétique est généralement analysée à l'aide de mesures morpho-agronomiques et leur diversité génétique à l'aide de marqueurs moléculaires. Les concordances de résultats sont ensuite exploitées pour décider des modes de conservation et des stratégies d'amélioration les mieux adaptées. Une méthodologie commune à ces espèces peut être utilisée. Elle est décrite dans le présent article et divers exemples sont utilisés (ignames, taro, plantains, kava) pour illustrer l'approche retenue.

Matériels et méthode

La caractérisation et l'évaluation des accessions disponibles visent d'abord à décrire le plus finement possible la variabilité existante de manière à faciliter la sélection clonale mais aussi à identifier des indicateurs de divergence pour assurer les bases des futurs schémas d'amélioration. Les descriptions doivent permettre in fine une taxonomie intraspécifique du matériel qui sera sélectionné et une évaluation précise des sélections variétales qui seront retenues. Cette caractérisation est effectuée à divers niveaux hiérarchisés, morphologique, cytologique, moléculaire et physico-chimique.

La collecte du germoplasme

Du fait de la multiplication végétative, ce germoplasme est volumineux et il n'est pas toujours possible de récolter un grand nombre d'accessions. La stratégie de collecte est basée sur un échantillonnage sélectif plutôt qu'aléatoire puisque les agriculteurs ne cultivent pas des populations, des provenances ou des descendances, mais des clones stériles. Il s'agit donc d'identifier au champ des formes qui présentent des divergences, essentiellement d'ordre phénotypique, et de récolter un échantillonnage de la variabilité morphologique observée. Dans certains cas, et lorsqu'un pathogène exerce une forte pression, il faut aussi identifier les individus présentant des caractères de tolérance ou de résistance.

Les morphotypes

Les accessions récoltées sont mises en collection ex situ en milieu contrôlé et en environnement homogène pour s'affranchir des interactions génotype-milieu. Les caractères morphologiques les plus discriminants sont préférentiellement retenus pour les descriptions. Pour la quasi totalité des espèces concernées, il existe désormais des listes internationales standardisées de descripteurs morphologiques (IPGRI). A chaque descripteur (par exemple, la couleur du limbe d'une feuille) correspond plusieurs modalités (par exemple, jaune, vert clair ou vert sombre). Chaque modalité se voit attribuée un code qui facilite la description systématique des accessions au champ (par exemple, jaune = 1, vert clair = 2, vert sombre = 3). Un morphotype peut donc se définir comme un phénotype décrit et codé dans un milieu donné à l'aide de descripteurs reconnus comme fiables et suffisamment discriminants. Un premier traitement des données à l'aide d'un simple logiciel de gestion de fichiers (par exemple, Dbase, Foxpro, Quattropro...) permet d'indexer et de classer les individus sur certains caractères, d'identifier le nombre de morphotypes distincts et les accessions qui présentent des morphotypes identiques. Des morphotypes identiques ne correspondent pas forcément à un seul génotype, mais peuvent être une même expression phénotypique codée de génotypes distincts.

Les techniques modernes de taxonomie numérique, du type Classification Ascendante Hiérarchique (CAH), Analyse en Composantes Principales (ACP) et d'autres analyses multivariées, permettent aujourd'hui de traiter des matrices de données composées d'un grand nombre d'accessions et de variables. Ces variables peuvent, pour chaque caractère morphologique codé, être traduites en variables qualitatives de présence (1) ou d'absence (0) du caractère. Par exemple, la couleur vert sombre du limbe d'une feuille sera codée en 001: 0 (pour le jaune), 0 (pour le vert clair) et 1 (pour le vert sombre). Les matrices deviennent importantes mais les données qualitatives sont facilement traitées par la plupart des logiciels disponibles (Ntsys, MVSP, Statitcf, Systat, SAS...). L'organisation et la structure de la variabilité morphologique sont alors visualisées à l'aide de diverses techniques graphiques, comme les dendrogrammes ou les projections en deux ou trois dimensions. Les résultats obtenus par l'utilisation d'une méthode d'analyse sont habituellement confirmés par une autre et les groupes du dendrogramme peuvent servir à délimiter les nuages de points d'une ACP projetée sur deux axes. il s'agit en fait d'identifier des convars, c'est à dire des groupes de cultivars affines.

Généralement, ces descriptions doivent être confirmées pendant deux ou trois cycles successifs de culture. Les premières descriptions se font dans le désordre mais la procédure gagne en rigueur et précision au fil des cycles. En effet, les accessions sont replantées au champ dans l'ordre du premier classement obtenu par CAH, ce qui permet de rapidement identifier les doublons et les hors-types, de confirmer et/ou d'infirmer les descriptions pour obtenir au bout de deux ou trois saisons de descriptions morpho-agronomiques, un fichier précis des morphotypes rassemblés en convars. Par exemple, tous les morphotypes présentant une forte pigmentation anthocyanée, ou tous les morphotypes présentant des bulbilles ou des épines sur les tiges principales... etc.

Les cytotypes

Il est rare que les cultivars des plantes à racines et tubercules et des bananes plantains soient tous des diploïdes et la plupart ont divers niveaux de ploïdie. Il est utile de caractériser les cytotypes (2n= 2x, 3x, 4x,... 10x) car il s'agit souvent d'un première classification intraspécifique utile pour la compréhension de la structuration de la variabilité. Les comptages chromosomiques sont nécessaires, bien que longs et fastidieux, mais la cytométrie en flux permet désormais de caractériser un grand nombre d'accessions en un temps relativement court.

Les zymotypes

Les isozymes, protéines solubles dans l'eau, facilement séparables par électrophorèse, restent encore les marqueurs moléculaires les plus faciles à utiliser dans les pays du Sud du fait de la simplicité de la technique et de ses faibles coûts. Cette technique permet d'attribuer précisément des empreintes à plusieurs centaines d'accessions. Selon le nombre de systèmes enzymatiques utilisés, les électromorphes (bandes révélées par coloration et mobiles dans le champ magnétique), correspondent à autant de caractères qualitatifs qui sont codés en présence ou absence et permettent donc de compléter des matrices de caractérisation. Ces zymogrammes sont donc traités comme des phénotypes et un zymotype se traduit par la série codée, pour tous les systèmes enzymatiques révélés, des présences et absences d'électromorphes. Le zymotype est indépendant des facteurs du milieu et présente donc l'avantage d'être un marqueur neutre. Les données obtenues par les isozymes sont aussi analysées suivant les techniques classiques de taxonomie numérique et permettent de révéler des convars d'individus génétiquement apparentés qui ont probablement échangé des gènes avant d'être domestiqués par voie clonale.

Les génotypes

Les diverses techniques d'extraction de l'ADN, de son découpage en différents sites par des enzymes de restriction, et d'amplification des extraits ainsi obtenus par PCR, permettent grâce à l'électrophorèse de séparer de nombreux électromorphes (RAPD, RFLP, AFLP) qui correspondent à autant de caractères qualitatifs, pouvant être traités par les analyses multivariées. Les résultats sont dans ce cas aussi, traités comme des phénotypes et l'on compare en fait des présences et absences de bandes. Les niveaux d'intensité ne sont généralement pas pris en compte. Ces techniques permettant d'avoir accès directement à l'ADN, il est donc possible d'identifier précisément des génotypes distincts. La lourdeur et la cherté des manipulations et des produits nécessaires limitent cependant le nombre d'accessions qui peuvent ainsi être analysées, surtout dans les laboratoires des pays du Sud. Il est souvent préférable de procéder à un premier criblage des nombreuses accessions à l'aide d'isozymes puis de préciser la variabilité intra-zymotype à l'aide de ces techniques.

Les chimiotypes

Les caractéristiques physico-chimiques sont essentielles et les cultivars ont généralement été sélectionnés pour certaines d'entre elles de manière empirique mais efficace par les agriculteurs. Il s'agit principalement des teneurs en matière sèche, en amidon, amylose, protéines, sucres totaux... etc. qui sont d'un intérêt primordial pour les industriels intéressés par la transformation de ces produits amylacés. Ces caractéristiques peuvent cependant être affectées par les facteurs du milieu. Une évaluation précise de la variabilité des caractéristiques physico-chimiques de amidons ne peut donc être convenablement réalisée que si les nombreuses accessions sont cultivées en collection, dans un environnement homogène et en milieu contrôlé pour s'affranchir des interactions.

La sélection clonale

Les concordances et/ou discordances entre convars de morphotypes, cytotypes, zymotypes, chimiotypes et génotypes permettent de se faire une idée précise de la structuration de la variabilité. Des accessions représentatives des convars peuvent alors être inscrites sur la liste des cultivars qui seront retenus pour composer une collection essentielle. Cette liste peut être déterminée en fonction des objectifs de sélection et des caractères qui sont retenus pour définir les idéotypes. Une caractérisation et une évaluation précises des cultivars permettent donc des sélections variétales fiables. En l'absence de réels programmes d'amélioration dans la plupart des pays du Sud, pour qui ces cultures sont pourtant essentielles, la performance de la sélection clonale est déterminante. Ces obtentions végétales sont autant de variétés méritant protection et inscription sur un catalogue lorsque la législation existe en la matière. Une sélection clonale mérite en effet protection lorsque les travaux de caractérisation et d'évaluation ont été rigoureusement menés.


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