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Introduction
La plupart des nouveau-nés sont allaités par leurs mères, d'autres reçoivent d'emblée un dérivé lacté artificiel, voire même un lait animal. D'une manière ou d'une autre, presque tous les nourrissons reçoivent du lait. Les habitudes parentales conditionnent ensuite les comportements alimentaires qui se différencient selon les régions du monde. Ces attitudes diverses, qui paraissent bien souvent régies par des coutumes ancestrales, dépendent aussi de critères très nettement ancrés dans les gènes. On constate que les comportements alimentaires répondent, en réalité, plus à des divisions ethniques qu'à des répartitions géographiques.
La place du lait en nutrition humaine n'est pas le fruit du hasard, mais est régie par des potentialités génétiques ma] élucidées; la disparition ou le maintien de l'activité lactasique intestinale paraît y jouer le rôle primordial (Kretchmer, 1972). Ce n'est pas seulement la disponibilité du lait qui conditionne sa consommation, mais aussi et plutôt la tolérance au lait qui a incité l'homme à en faire une nourriture ordinaire au-delà du sevrage. Face à l'hypolactasie, certaines populations ont été capables de s'adapter en consommant des produits appauvris en lactose (fromages) ou des dérivés simultanément riches en ß-galactosidase (lactase) microbienne (yaourt). D'autres populations n'ont pas été capables de contourner cette difficulté digestive et ont tout simplement renoncé à consommer du lait et, dans le même pas, tout dérivé laitier (Delmont, 1983). Le retentissement sur la santé de cet attrait ou de ce refus du lait est difficile à préciser. D'autres facteurs interfèrent compliquant l'interprétation des données épidémiologiques.
En situation d'abondance, c'est-à-dire dans les pays industrialisés et nantis, une consommation importante de lait et/ou de produits laitiers fait partie des facteurs de risque de la maladie coronarienne, avec le tabagisme, l'obésité, le stress, l'hypertension artérielle et le manque d'exercice physique. Il existe une relation entre le risque de développer une maladie cardiovasculaire et la consommation d'énergie lipidique, notamment de calories provenant de matières grasses saturées. L'apport lipidique du lait de vache et des produits dérivés est constitué surtout de graisses saturées (voir chapitre 2) et le cholestérol y est très présent.
Cependant, l'ensemble de ces facteurs de risque précités, et peut-être encore d'autres, semblent nécessaires pour voir leurs effets nuisibles se révéler. On est surpris de constater la quasi-innocuité de la consommation de lait et de beurre chez les Bretons en France (la mortalité précoce, entre 45 et 54 ans, par maladie des coronaires est plus faible dans les départements bretons que dans les départements du Nord et de l'Est de la France) (J. Renaud, 1985). Dans le même ordre d'idée, les Masaïs d'Afrique de l'Est semblent échapper à l'hypercholestérolémie et aux lésions d'athérome malgré une consommation alimentaire axée sur les produits animaux (lait, sang et viande de vache).
Les inconvénients attribués à la consommation du lait ne sont apparemment pas des constantes: trouver aux produits laitiers une place en nutrition humaine relève aussi de l'art de les accommoder judicieusement. Souvent, les populations ont trouvé localement et depuis longtemps les modalités de préparation et de conservation idéales du lait ou des produits qu'elles en ont dérivés. Là où les conditions d'élevage et le climat ne permettaient pas que ces conditions idéales fussent réunies, ces difficultés ont pu être surmontées grâce aux techniques industrielles modernes (fabrication de poudres de laits, conservation de longue durée) ainsi qu'aux possibilités d'acheminer le lait et les produits laitiers sur de longues distances. Ces bouleversements techniques ont permis aux populations d'envisager des emplois nouveaux et adaptés du lait et de ses dérivés.
Ce chapitre regroupe des informations sur la place que tiennent actuellement les produits laitiers dans l'alimentation ainsi que quelques indications sur celle qu'ils pourraient y occuper.
Appétence et acceptabilité du lait
L'importance économique du lait (et de tout autre produit) en alimentation passe avant tout par le goût du consommateur. En général, le lait présente un tonus émotionnel faible. Il n'excite pas une appétence comparable à celle de certaines boissons (sucrées, alcoolisées) ou d'autres aliments, comme la viande ou même les fromages.
Le lait fait sécréter une salive épaisse et donc peu rafraîchissante. Il semble que la forme la mieux acceptée soit le lait pasteurisé ou stérilisé UHT, homogénéisé, demi-écrémé, non bouilli et consommé froid. Les pouvoirs excito-moteurs du lait sur les sécrétions gastriques et pancréatiques sont assez faibles: la sécrétion de pepsine est plus forte pour la viande et le pain. Généralement, les produits dérivés du lait, notamment les laits acidifiés et fermentés, les fromages et le beurre sont plus volontiers consommés et mieux digérés que le lait lui-même.
Consommation du lait en période de croissance
Allaitement maternel exclusif. Le nouveau-né et le nourrisson devraient, jusqu'à 3 ou 4 mois, être exclusivement allaités. Le lait maternel suffit à lui seul à assurer la croissance du nourrisson jusqu'à 4 mois. A partir de 4 à 6 mois, il faut le compléter avec d'autres aliments, mais l'allaitement doit se poursuivre. Les avantages nutritionnels de la composition du lait de femme ont été largement détaillés dans le premier chapitre. A cela, il convient d'ajouter d'autres qualités irremplacables, telle la présence en quantités appréciables d'anticorps du type sécrétoire (s IgA) qui protègent au moins partiellement le nourrisson contre un éventail de micro-organismes pathogènes (Hansson, 1988), sans parler de l'hygiène du lait lui-même (à priori stérile dans la mamelle) et du lien psycho-affectif que constitue l'allaitement.
Lorsque l'allaitement suffit, la croissance staturo-pondérale progresse et le développement psychomoteur évolue harmonieusement. C'est sur la base de ce développement harmonieux qu'on peut établir les besoins nutritionnels et édicter des recommandations diététiques pour les périodes néonatales et infantiles. Les valeurs chiffrées sont déduites des analyses de la composition du lait de femme et d'une appréciation des consommations individuelles.
Alimentation lactée de substitution. Si la majorité des nouveau-nés de notre monde prennent du lait maternel, la plupart d'entre eux (en raison surtout d'une insuffisance de la production lactée maternelle) reçoivent aussi avant 3 mois une alimentation de supplémentation. Un pourcentage non négligeable de nourrissons ne sont pas (ou à peine) allaités par leur mère. Une alimentation lactée de substitution leur est proposée, soit un lait adapté en poudre, soit, le plus souvent, un lait animal non modifié. Dans toutes ces situations, les informations et les recommandations basées sur l'allaitement ne sont plus de mise et deviennent donc caduques. Certaines données restent en vigueur quand les laits proposés sont adaptés aux particularités propres des nourrissons: on parle dans ces cas plus volontiers de formules infantiles. Quelques principes nutritionnels à observer sont énumérés ci-après.
Le lait de vache non modifié est trop riche en protéines et en caséines pour les capacités digestives (formation d'un caillé peu digeste) et métaboliques (élimination d'une charge azotée excédant les possibilités rénales) du très jeune enfant. La quantité de minéraux ( sodium, calcium, phosphore) est très élevée et demande à être réduite pour éviter de solliciter trop la fonction rénale d'épuration. L'adaptation du lait de vache pour en faire un substitut acceptable du lait humain consiste donc à réduire la teneur de caséine, de sodium, de phosphates et aussi de calcium tout en restant à des niveaux d'apports sensiblement supérieurs à ceux du lait humain (Tsang et Nichols, 1988). De la sorte, la moindre biodisponibilité des nutriments est contrebalancée et les besoins d'une large proportion de la population infantile peuvent être assurés. Enfin, les nutriments qui se dégradent lentement en cours de conservation restent présents en quantités suffisantes.
L'absorption partielle des graisses lactiques chez le nouveau-né et le très jeune nourrisson et surtout la carence en acides gras essentiels du lait animal de consommation courante ont conduit à modifier également les matières grasses dans les formules infantiles par l'adjonction d'huiles de maïs et de soja qui impose à son tour de réaliser un apport vitaminique E suffisant pour éviter un risque d'instabilité des membranes tissulaires.
Le lait de vache contenant moins de lactose que le lait humain, un enrichissement en glucides est nécessaire et souvent obtenu grâce à l'adjonction de dextrines-maltose. Ce procédé est peu coûteux, mais évite surtout d'accroître l'osmolarité du lait. Enfin, le processus industriel (chaleur) dégrade en partie plusieurs vitamines. Une quantité connue et de sécurité de vitamines est donc ajoutée en fin de la filière de fabrication.
Pour les minéraux et les minéraloïdes, des adaptations sont également souhaitables: le rapport calcium/phosphore doit idéalement être situé entre 1,5 et 2 afin de favoriser l'absorption calcique. La teneur calcique ne peut excéder les possibilités de solubilisation dans la formule lactée. Du fer est ajouté pour couvrir les besoins du nourrisson, ainsi qu'un nombre d'oligoéléments, dont le cuivre, leur taux particulièrement bas dans le lait de vache ne permettant pas d'assurer les apports recommandés.
L'adaptation des laits animaux pour la consommation infantile tient compte également de la charge osmotique rénale. Les capacités rénales de concentration chez le nouveau-né et le nourrisson sont faibles, et encore moindres chez le prématuré. De ce fait, les déchets métaboliques azotés et minéraux entraînent avec eux dans la phase d'excrétion rénale une quantité importante d'eau. Dans la pratique, le lait maternel est surtout remplacé en période d'alimentation lactée exclusive (de O à maximum 4 mois en général) par un nombre limité de produits: du lait de vache (parfois coupé), du lait de chèvre ou des formules adaptées (dérivées du lait de vache). Ces dernières diffèrent quelque peu selon qu'elles ont été conçues en Europe (laits adaptés du premier âge) ou en Amérique du Nord (lait standard pour la première année). La figure 21 et le tableau 66 illustrent le taux de couverture de l'ensemble des besoins de la tranche d'âge concernée par l'un et l'autre de ces produits lactés. D'emblée, les insuffisances ou dépassements en nutriments qu'entraînent les divers régimes lactés sont visibles.
TABLEAU 66 Couverture des besoins d'un nourisson de 6 kg recevant 900 ml* de lait maternel ou de lait de certaines espèces animales ou de laits industriels vendus en Europe et aux Etats-Unis
Types de lait | Nutriments | |||||||||
Calcium | Fer | Zinc | Vitamine B1 | Vitamine B2 | Acide folique | Vitamine C | Vitamine A | Vitamine D | Vitamine E | |
(mg) | (mg) | (mg) | (mg) | (mg) | (µg) | (mg) | (µg) | (µg) | (mg) | |
Lait maternel | 290 | 2,7 | 0,6 | 0,15 | 0 40 | 38,5 | 38 | 480 | 0,7 | 5,1 |
Lait de départ | ||||||||||
(Europe) | 500 | 6,9 | 5,0 | 0,37 | 0,81 | 53,6 | 50 | 585 | 1 3,2 | 7,3 |
Lait de départ | ||||||||||
(Etats-Unis) | 500 | 3,5 | 10,4 | 0,45 | 0,57 | 44,8 | 51 | 585 | 8,9 | 9,0 |
Lait de vache | 875 | 3,3 | 0,4 | 0,33 | 1,58 | 33,1 | 16 | 256 | 0,5 | 0,7 |
Besoins ou taux quotidien recommandé (OMS) | 400 | 5,0 | 6,0 | 0 30 | 0,40 | 25,0 | 30 | 375 | 7,5 | 3,0 |
* On compte généralement 150 ml de lait par kg de poids corporel.
Les procédés d'humanisation du lait de vache, souvent ingénieux, génèrent aussi par eux-mêmes des effets secondaires inattendus. Ils restent parfois longtemps méconnus (laits dépourvus de chlore, carencés en pyridoxine, déficients en cuivre) ou à peine évoqués (laits potentiellement allergisants ).
Alimentation du sevrage. Si les habitudes et les pratiques du sevrage varient à l'infini, le lait (de femme ou d'animal) y trouve toujours une place qui va du tout à rien. Sous une forme ou une autre, le lait constitue la base de l alimentation jusqu'à 1 an et couvre la totalité des besoins jusqu'à 3 ou 4 mois. Avec l'introduction d'une alimentation solide (bouillie de céréales avec/sans fruits ou légumes), sa part relative tend à diminuer. Avec l'apparition dans l'alimentation d'autres types de solides (souvent des légumes autour de 5 mois), la part du lait se réduit encore, mais la quantité absolue consommée chaque jour ne tombe souvent pas en dessous du demi-litre dans les pays industrialisés et n'atteint pas toujours le tiers de litre dans les pays en développement, même chez les enfants allaités. A défaut de lait maternel, le lait consommé (ou du moins recommandé) est un lait de vache modifié: en Europe les sociétés pédiatriques prônent l'emploi d'un lait dit de suite ou de deuxième âge (ESPGAN, 1981 et 1990); en Amérique du Nord la faveur se porte plutôt sur un lait de composition uniforme pour toute la première année de vie. Ailleurs, la situation est différente. Dans les pays en développement, le choix est limité dans la plupart des cas, soit à la poursuite de l'allaitement maternel, soit à l'emploi de lait de vache non modifié.
Ces usages plus souvent imposés que choisis conduisent à des profils de consommation alimentaire très différents: à 5 mois certains nourrissons prennent encore (et exclusivement) le sein, d'autres reçoivent une formule dite de départ ou un lait de suite, une formule adaptée pour toute la première année de vie, ou enfin du lait de vache non modifié (sous forme de biberon ou de bouillie lactée). Un enfant exclusivement nourri de lait pour couvrir très justement tous ses besoins en énergie (l'un des facteurs essentiels conditionnant l'appétit) consomme un ensemble de nutriments (protéines, glucides et calcium) en excès alors que d'autres lui font défaut (fer, cuivre et acides gras essentiels). A X ou 9 mois quand certains dérivés lactés (yaourt et fromage blanc, en particulier) prennent le relais des fruits notamment, les problèmes diététiques ne font que s'aggraver, et ce d'autant plus que d'autres aliments d'origine animale ne sont pas proposés ou disponibles.
Seuls la viande et le poisson apportent le fer, du moins de qualité biologique suffisante. La même remarque vaut pour le zinc et dans une moindre mesure pour le cuivre.
Inversement, le lait et/ou ses dérivés constituent une source de calcium inégalable et les protéines de ces produits sont d'une valeur irremplaçable pour l'enfant. Cette qualité peut être appréciée en termes de haute valeur biologique (protéines de référence), de coût faible (protéines animales peu chères à la production), de conservation assez aisée, de conditionnement codifié (poudre) permettant une production hygiénique. Toutefois, les conditions d'utilisation des laits en poudre laissent beaucoup à désirer (contamination microbienne des eaux, manque d'hygiène dans la préparation).
Le lait accepte aussi facilement des additifs, des vitamines et de l'iode, en particulier qui en augmentent encore la valeur nutritionnelle. De fait, les meilleures preuves de qualité du lait sont les troubles nutritionnels que développent les enfants soumis à un régime d'exclusion lactée drastique (en cas de régime végétarien ou d'allergie aux protéines du lait de vache). De nombreuses études font état de déficits causés par des alimentations de substitution mal équilibrées. Les carences en acides aminés soufrés et même en cuivre étaient le lot des sujets exclusivement nourris aux laits infantiles de soja de la première génération. Des troubles (rachitisme) apparaissent aussi lorsque des laits de soja liquides destinés aux adultes et dépourvus de calcium et de phosphore sont donnés abusivement aux nourrissons. Des régimes végétariens stricts peuvent mener à des anémies mégaloblastiques et à des hyperkaliémies (excès de potassium dans le sang et dans l'organisme entier).
Puisque le lait (humain ou animal) constitue l'aliment de base de la première année de vie, sa suppression implique qu'on le remplace par un aliment (lait de substitution) ou un ensemble d'aliments d'origine animale (viande, poisson, uts, en combinaison avec un lait animal) qui contienne tous les nutriments du lait maternel et tienne compte de la teneur en nutriments de chaque constituant et de leur biodisponibilité.
Dans bien des circonstances, liées à la production à la conservation ou au prix, les produits laitiers animaux (laits liquides fromages, yaourts) ne sont pas accessibles, pas plus que les laits infantiles en poudre. La préparation artisanale, voire domestique, d'un aliment de sevrage permet de surmonter ces obstacles, en particulier celui du coût. Ainsi, la valeur nutritionnelle d'un aliment de ce type, préparé à partir de 65 g de farine de riz, 25 g de lait écrémé en poudre, 10 g de sucre et 6 ml d'huile de palme, est voisine de celle de 100 g d'une farine lactée du commerce. Cet aliment, pris en quantité suffisante, peut compléter efficacement l'alimentation au sein d'un nourrisson.
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