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La fabrication du beurre de karité: quelles technologies pour les femmes?

En Afrique, les femmes sont responsables de la quasi-totalité des activités de transformation agroalimentaire. Le plus souvent, celles-ci sont réalisées manuellement, à l'aide d'équipements rudimentaires. Comment trouver une solution adaptée à leurs travaux quotidiens ? Plusieurs périodiques (Appropriate Technology, le Bulletin du réseau TPA, ILEIA Newsletter et Food Chain) ont publié des numéros spéciaux sur le sujet, qui dévoilent certains aspects de l'approche à suivre et les possibilités d'amélioration des conditions de travail des femmes.

Pour répondre aux besoins réels des femmes, on manque souvent d'informations sur les alternatives possibles et peu de moyens pour faire une bonne évaluation. La technologie dite "appropriée" peut s'avérer trop chère et de capacité trop grande pour être rentabilisée et gérée au niveau d'un groupe de femmes. Pour que le choix technologique soit effectivement approprié, il est nécessaire d'effectuer une évaluation socio-économique et technique des diverses alternatives, qui soit fondée sur la participation des femmes, demandeuses de technologie. Tous ces facteurs sont à prendre en compte lorsque l'on se lance dans la production de beurre de karité.

L'exploitation de l'arbre à karité

L'arbre à karité (Butyrospermum Parkii) est plus ou moins répandu dans les savanes soudano-guinéennes de l'Afrique occidentale. Les pays où l'on trouve les peuplements les plus denses sont le Mali, le Burkina Faso, le Togo, le Bénin, le Nigeria et le Soudan. Au Mali, les densités peuvent varier de I à 50 arbres par hectare. Chaque arbre peut donner, en moyenne, 15 à 20 kilos de fruits frais. Une fois séchés, on obtient 3 à 4 kilos d'amandes prêtes à être concassées.

L'amande de l'arbre à karité contient de 42 à 48 % de matières grasses à un point de fusion élevé; cela donne, après extraction, un beurre consommable.

Au Mali, les estimations de production des amandes de karité varient énormément d'une année à l'autre. Le karité étant un produit d'autoconsommation, il est difficile de connaître la production en se fondant seulement sur les quantités d'amandes commercialisées. De plus, la variabilité de la production de chaque arbre est très élevée d'une année sur l'autre. Ce dont témoignent les volumes d'exportation d'amandes exportés: ils oscillent entre 500 et 15 000 tonnes par an, selon les récoltes.

Le beurre de karité est la principale matière grasse disponible dans les zones rurales productrices. Il est également utilisé par beaucoup de femmes en milieu urbain. On le trouve dans l'alimentation, la savonnerie, la pharmacopée traditionnelle et les produits cosmétiques. Il a longtemps servi (et sert encore) à s'éclairer: c'est ce beurre que l'on retrouve comme combustible dans les lampes à huile. Dans les pays industrialisés, le beurre de karité est utilisé en pâtisserie, en cosmétique et en pharmacie, dans des produits appréciés des consommateurs.

Au début de l'hivernage, presque toutes les femmes récoltent individuellement les fruits. La transformation en beurre est le plus souvent un travail collectif, organisé depuis toujours au niveau de la famille ou du "ton" villageois. En saison sèche, les femmes consacrent souvent deux jours par semaine à la production de beurre, qui est soit consommé par la famille, soit vendu.

Améliorer le travail d extraction du beurre

Dans chaque village, la fabrication du beurre de karité est une activité très ancienne. Les méthodes de pré-traitement, de stockage des noix et d'extraction peuvent varier d'une région à l'autre, donnant des qualités de beurre différentes. Le travail, manuel, est pénible. Les amandes sont d'abord concassées et réduites en poudre; celle-ci est grillée dans une marmite puis pilée dans un mortier. La pâte obtenue est ensuite moulue entre deux pierres. Cela donne une pâte fine qui est placée dans un large récipient pour le barattage: elle est pétrie à la main jusqu'à l'obtention d'une matière blanchâtre qui sera lavée plusieurs fois à l'eau chaude. Cette matière est mise dans une marmite pour faire évaporer l'eau. Les impuretés se déposent au fond et la femme peut recueillir, par décantage, le beurre liquide qui est versé dans un récipient pour solidification.

Afin de diminuer la pénibilité des tâches et de réduire le temps de transformation, plusieurs projets ont mis en place des équipements permettant la mécanisation de certaines opérations. Le moulin villageois ou privé est assez répandu et remplace le pilage et le laminage. Au Ghana, l'entreprise "SIS-Engineering" a développé un appareil qui mécanise le barattage et le lavage. Cette technologie a été améliorée par la suite avec l'appui des femmes du projet Gratis; sa diffusion s'est faite à plus grande échelle. Au Mali, les deux opérations sont effectuées par un autre système, le Mockarité, qui fonctionne avec une centrifugeuse. Au Burkina Faso et au Mali, deux presses (à vis et à cric) ont été testées et vulgarisées pour remplacer toute la chaîne, depuis le pilage jusqu'au lavage. Ces techniques ont déjà été diffusées. Deux petites presses à piston sont encore testées au Mali. Une de ces presses, manuelle, est actuellement vulgarisée au Zimbabwe et en Tanzanie pour la production d'huile de tournesol. Cependant, les résultats obtenus avec le karité n'ont pas été très encourageants.

A partir de différentes sources d'information, un travail de comparaison des différentes technologies a été entrepris; plusieurs critères ont été pris en compte: les valeurs d'investissement, les capacités de transformation (en kilos d'amandes par jour) et les effets sur le temps de travail. Pour tous les procédés étudiés, le rendement d'extraction du beurre est comparable (35 à 42 %) mais plus élevé que le rendement obtenu à partir du procédé traditionnel (25 à 28 %). Il reste néanmoins inférieur à celui du procédé industriel. Mais l'évaluation économique n'est pas le seul critère de comparaison.

Toutes les technologies ont pour objectif de se substituer aux tâches les plus pénibles et les plus salissantes (pilage, laminage et barattage manuel). Malheureusement, la substitution n'est pas toujours équivalente. On a choisi, dans certains cas, de mécaniser (les presses) et dans d'autres, de motoriser (le moulin, le Mockarité et l'équipement SIS-Engineering). Le moulin remplace le pilage et le laminage, mais le barattage reste manuel.

Comparaison des divers équipements et procédés de transformation du karité

Equipement Coût (*) (milliers de F CFA) Réduction de temps (en %) Capacité de production(kg/jour) Seuil de rentabilité estimé (t/an) Mouture de céréales Economie
de bois de gasoil
Moulin Presse 1 100 58 400 30-40 1 (+) -
à vis SIS 596 55 125 17 - - + +
Engineering 988 77 260 50 + (+) - -
Mockarité 5 030 83 420 50 + ++ - -
Presse à cric 996 63 125 25 - + +

(*) Le prix d'achat de l'équipement a été actualisé en 1994, afin de tenir compte de la dévaluation du franc CFA. Les frais de transport, d'installation et de construction d'un bâtiment ou d'un abri ne sont pas compris.

Temps de travail nécessaire à la transformation de 10 kg d'amandes

Traditionnelle
1
Moulin
2
SIS eng.
3
Mockarité
4
Presse à vis
5
Presse à cric
6
concassage
(2f, 40 mn)*
concassage
(2f, 25 mn)
concassage
(1f, 5 mn)
chauffage
(1f, 20 mn)
concassage
(2f 25 mn)
concassage
(2f 25 mn)
torréfaction
(1f, 50 mn)
torréfaction
(1f, 25 mn)
torréfaction
(1f, 25 mn)
  torréfaction
(1f, 25 mn)
torréfaction
(If: 25 mn)
pilage
(2f, 14 mn)
         
laminage
(2-3f, 83 mn)
mouture
(2f, 12 mn)
mouture
(2f, 5 mn)
moulin et centrifugeuse
(3f, 10 mn)
pressage
(2-4f, 40 mn)
pressage
(2f, 40 mn)
barattage
(2-4f, 32 mn)
barattage
(2-4f, 22 mn)
barattage et lavage
(2f, 20 mn)
     
lavage
(1f, 17 mn)
lavage
(1f, 17 mn)
       
purification
(1f, 23 mn)
purification
(1f, 23 mn)
purification
(1f, 23 mn)
purification
(1f 23 mn)
purification
(1f 23 mn)
purification
(1f, 23 mn)
décantation
(1f, 14 mn)
décantation
(1f, 14 mn)
décantation
(1f, 14 mn)
décantation
(1f, 14 mn)
décantation
(1f, 14 mn)
décantation
(1f, 14 mn)
Total (femme minutes)
516
219 117 87 232 192
% gain de temps par rapport au procédé 1
-- 58 77 83 55 63

*2 femmes et 40 minutes ont été nécessaires pour effectuer la tâche.

Pour les procédés 2 et 5, le concassage est effectué avec un concasseur manuel, proche d'une décortiqueuse d'arachides, développé par le projet Karité de Koudougou. La torréfaction, faite à l'aide d'un torréfacteur manuel rotatif, donne de meilleurs résultats que la torréfaction manuelle. Le procédé 3 utilise un concasseur motorisé et, pour le procédé 4, un simple chauffage dans des étuves solaires suffit. Les améliorations apportées par le projet Karité de Koudougou au niveau du concassage et de la torréfaction des noix de karité (procédés 2 et 5) peuvent facilement être appliquées au procédé 6, et la torréfaction "rotative" au procédé 3.

La presse à cric demande un peu moins de main-d'oeuvre que la presse à vis. Pour la clarification du beurre, on applique le système traditionnel d'ébullition / purification et de décantation. En théorie, on considère que le produit obtenu avant purification est similaire. Dans les faits, on relève des différences de qualité à ce stade du processus. Par exemple, le système Mockarité donne un produit plus clair. En raison du manque de données dans la documentation des équipements 3 et 4, les données du projet Karité sont utilisées pour calculer les résultats sur la clarification avec ces procédés.

Un aspect est spécifique aux presses à vis et à cric: elles permettent de valoriser des amandes de mauvaise qualité, qui ne donnent pas de beurre avec le procédé traditionnel. C'est la raison pour laquelle, dans certains villages, les femmes dont les amandes sont de mauvaise qualité utilisent ces procédés, même si cela leur prend du temps. Celles dont les amandes sont de bonne qualité reviennent souvent à la méthode ancienne: l'attente est longue pour accéder à la presse. Bien que ce soit le procédé qui demande le moins de travail, le Mockarité reste la solution la plus chère.

Pour simplifier la comparaison, la qualité du travail n'a pas été valorisée. Or, il existe de grandes différences entre les opérations, dans la mesure où l'on intègre la notion de pénibilité de travail. La presse réduit la durée de la tâche mais celle-ci n'est pas motorisée. Si l'on observe le fonctionnement de la presse à vis et à cric, les gestes effectués par les femmes ne sont pas les mêmes; elles ne les évaluent pas de la même manière. En général, elles trouvent le travail avec le cric plus pénible. Le degré de complexité de la manipulation et de la maintenance sont aussi à considérer. Au Mali, la plupart des presses à cric ne fonctionnent plus à cause de problèmes d'entretien. Les presses à vis semblent d'une utilisation plus simple et quelques unes ont été importées du Burkina Faso.

Par ailleurs, les frais de fonctionnemant ne sont pas compris dans cette comparaison. Or, pour tous les procédés motorisés, il faut tenir compte des frais de gasoil. Ainsi, le Mockarité et l'équipement SIS-Engineering consomment la plus grande quantité de carburant. D'un autre côté, il faut prendre en compte la réduction de consommation de bois et d'eau offerte par les différents procédés par rapport à la méthode traditionnelle. La plus grand économie de bois est réalisée par le Mockarité puis par la presse à vis et à cric.

D'autres aspects sont importants: la capacité minimum de production nécessaire pour rentabiliser l'équipement, la complexité de la technologie et l'organisation de sa gestion et de son entretien en milieu rural. Les données actuellement disponibles ne permettent pas d'évaluer précisément le seuil de rentabilité de la transformation du parité; néanmoins, il est possible d'utiliser certains équipements à d'autres fins, comme la transformation d'autres oléagineux et de céréales.

Tester les nouveaux équipements sur les lieux de production

Ces comparaisons restent toutes théoriques si on ne prend pas le risque de les confronter aux conditions d'existence du groupe cible (les femmes). Les femmes doivent elles-mêmes analyser les avantages et les inconvénients des différentes technologies alternatives ainsi que l'aspect organisationnel de l'activité. Il est très important qu'elles puissent échanger des informations avec d'autres villageoises et tester les équipements en milieu réel. Les femmes connaissent le rendement d'extraction et la qualité du produit obtenu: leur savoir-faire et les techniques qu'elles emploient se transmettent de génération à génération. Ainsi, les observations qu'elles ont émises concernant le malaxeur de SIS-Engineering ont eu des incidences sur le développement de cet équipement.

Elles connaissent aussi les demandes du marché. C'est pour cette raison qu'il est nécessaire que les femmes, lors de rencontres, réfléchissent à la possibilité d'utiliser de nouvelles technologies. Il est alors possible de les aider à évaluer le coût financier qu'elles auront à supporter pour acquérir ces équipements; elles peuvent ainsi comparer l'effort financier demandé avec les avantages qu'offrent ces techniques (en terme de temps et de pénibilité de la tâche) et leur pouvoir d'achat.

Finalement, il n'existe pas de technologie qui soit meilleure qu'une autre: la solution optimale peut varier d'un village à l'autre. Si le village est suffisamment grand et riche et qu'il possède déjà un moulin, les femmes peuvent juger nécessaire d'acheter un deuxième moulin uniquement pour moudre le karité, tout en utilisant un seul moteur. Celles qui habitent dans un village qui n'est pas doté de moulin, mais dont le pouvoir d'achat est satisfaisant, peuvent préférer installer un Mockarité ou s'équiper d'un SIS-Engineering. Les conditions à prendre en compte sont, entre autres, la quantité de karité disponible dans le terroir et le mode d'organisation de l'activité de transformation, que ce soit au niveau du village ou de l'individu. Ainsi, si les femmes d'un village ont un pouvoir d'achat insuffisant pour rentabiliser un moulin, ou la motorisation de l'activité, mais qu'elles disposent d'assez de karité, elles peuvent envisager d'acquérir une presse à vis.

Dans tous les cas, il importe de donner aux femmes la possibilité d'expérimenter sérieusement les moyens que leur offrent ces nouvelles technologies; il est également essentiel de leur laisser le temps de la réflexion, pour qu'elles puissent prendre leur décision en toute connaissance de cause. Enfin, il est indispensable de choisir un système de propriété et de gestion de l'équipement qui favorise la reproduction de l'activité.

DOMIEN BRUINSMA

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